[ne pa saswar syr le kôtɡut] (loc. génér. ALCOO.)
Lorsque la langue aborde les choses apéritives et plus particulièrement la partie alcoolisée de la collation pré-déjeunatoire ou dînatoire, elle le fait toujours en ronds de jambes et formes subtiles afin de réclamer du plus.
Il est à cet effet de nombreuses expressions visant à souligner le tarissement (les mouettes ont pied, par exemple) ou la nécessité d’un renouvellement comme avec rhabiller le gamin. L’angoissé du gosier asséché, celui qui sait qu’avant de commander la petit sœur il vaut mieux que l’aînée soit bien née, ne possédait rien avant l’opportune survenance de ne pas s’asseoir sur le compte-gouttes, forme qui s’emploie à l’impératif afin d’encourager le serveur à ne pas rechigner sur la quantité.
Popularisée pendant les années surannées par la réclame imprimée d’un vin d’assemblage venu du Haut Douro, ne t’assois pas sur le compte-gouttes intimait donc au tenancier (l’apéritif ne se prenant alors qu’au bistro) de se montrer généreux sur la dose qui, quoi qu’il en soit, appellerait bientôt la suivante.
Eh Marcel ne t’assois pas su’l’compte-gouttes
Succès du vinho ibère oblige, ne pas s’asseoir sur le compte-gouttes se popularisera d’autant plus vite que le Porto Sphinx qui proclame le principe est bon marché et s’écoule donc aisément dans les estaminets et auberges où l’on célèbre qui un succès du Stade de Reims en Coupe des villes de foires, qui une obtention du certificat d’études.
En quelques années « Eh Marcel ne t’assois pas su’l’compte-gouttes » est compris de tout cafetier qui sait que son auguste geste sera soupesé et noté.
Même quand la pipette ne chapeaute pas la bouteille pour tempérer l’écoulement d’un Ruby, il est d’usage de parler de compte-gouttes afin de motiver le verseur. Mieux encore, ne pas s’asseoir sur le compte-gouttes deviendra applicable à toute boisson de plus de cinq degrés de réconfort, quittant donc les coteaux schisteux de la vallée du Douro pour concerner tout ce qui fait claquer le bec au Balto.
Modération et tempérance caractérisant en tout les temps plus modernes, l’injonction à se montrer royal au bar ne pouvait perdurer.
Ne pas s’asseoir sur le compte-gouttes entrera dans une phase mutique tandis que la science médicale démontrera que l’abus d’alcool est dangereux pour la santé et que la morale rappellera que tant qu’on a la santé… puis s’évaporera un beau jour sans que nul n’y prête attention.
Une verre ça va, trois verres bonjour les dégâts l’aura entre temps dépassée, démontrant au passage que les publicitaires offraient leur sens de la formule au plus payant, ce qui n’est pas une surprise mais néanmoins une autre histoire.