[ne pa se muSé avèk le do de la kyjé] (loc. verb. SNURFFF.)
L‘image fait frémir. Mais qu’attendre d’autre de la langue surannée, imagée par essence, quand elle souhaite marquer sa plus forte désapprobation ?
Il serait aisé de confondre ne pas se moucher avec le dos de la cuiller (notons au passage le délicieux cuiller nettement plus approprié que le convenu cuillère), avec ne pas se moucher du coude qui, lui, marque un niveau élevé de prétention, d’amour-propre mal placé. Ne pas se moucher avec le dos de la cuiller souligne une propension à l’absence de gêne pour l’enrhumé, mais rien de plus.
Plus dégueulasse que ne pas y aller avec le dos de la cuiller dont il est cependant cousin, ne pas se moucher avec le dos de la cuiller caractérise un paroxysme d’indélicatesse. La force de l’image, une fois de plus.
Qu’une morve verdâtre et visqueuse se glisse le long d’une petite cuiller en argent après une bruyante expiration nasale, est en effet une vision de galapiat dans l’exercice de sa discourtoisie qui peut entraîner la nausée. Surtout si c’est au petit déjeuner avec la cuiller à confiture que le gourmand préfèrera lécher…
Ne le cachons point, ne pas se moucher avec le dos de la cuiller est créée pour choquer. Là où ne pas se gêner était beaucoup trop sage, là où à l’aise Blaise prenait à peine le ton du reproche, là où y aller un peu fort n’était en fait pas si fort, ne pas se moucher avec le dos de la cuiller apporte la juste mesure de l’inconvenance du gougnafier, du pignouf, du malotru.
L’invention du plastique et son moulage en tant d’objets qu’il est ici impossible de les nommer tous – contentons-nous de signaler l’existence de la cuillère en plastique – empêcha ne pas se moucher avec le dos de la cuiller de continuer son œuvre de salubrité.
En autorisant l’utilisation de cette cuillère en plastique pour la consommation des crèmes brûlées, pour l’adjonction de sucre dans le café (sans même évoquer la dérive plus tardive de la touillette en plastique), pour le dressage des tables de fête, les autorités prirent le parti de l’outrance à tout va, vouant au suranné ne pas se moucher avec le dos de la cuiller.
Michel Audiard essaya bien de résister avec son « Les cons ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît », mais lui aussi fila en surannéité. Mais ceci est une autre histoire.
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