[ne pa sòkypé dy Sapo de la ɡamin] (expr. rej. CAP.)
L‘art d’envoyer paître le pénible a depuis des lustres fait l’objet d’une attention toute particulière du langage.
Et, telle une recette de cuisine, chaque créateur a pu apporter à l’éviction de l’ardélion sa petite touche personnelle, sa patte originale.
Tandis que les virils lui bottaient l’arrière-train, les subtils ajoutaient à ne pas s’occuper du chapeau de la gamine des compléments plus ou moins remarquables : « t’occupe pas du chapeau de la gamine, pousse la charrette », « t’occupe pas du chapeau de la gamine, j’paie les rubans », « t’occupe pas du chapeau de la gamine, laisse flotter les rubans », « t’occupe pas du chapeau de la gamine et pousse la bagnole », etc.
S’il est attesté un usage intensif de l’expression durant la Der des ders, le poilu ayant une très nette tendance à jacter suranné, il est probable qu’elle soient parvenue jusqu’au chemin des Dames et autres hauts lieux populaires après quatre siècles de pérégrinations dans tous les cabarets où le genre vaudeville chantait alors ses rimes pas toujours très riches mais bien souvent poilantes.
Sans que nul ne puisse entonner le refrain il est en effet admis que t’occupe pas du chapeau de la gamine était depuis belle lurette un petit air guilleret adressé au gêneur, issu d’une forme théâtrale.
🎶T’occupe pas du chapeau de la gamine, laisse flotter les rubans🎶
L’auteur aurait pu faire fortune tant ne pas s’occuper du chapeau de la gamine sera prononcée, y compris lorsque le couvre-chef cessera de protéger les jeunes filles du soleil et des regards pesants.
Las, ni le bonhomme ni même ses héritiers ne se feront jamais connaître, abandonnant donc au domaine public ce sage conseil de ne pas se prendre pour chapelier spécialisé enfante quand on peine à différencier un fedora d’un pork pie, une capeline d’un trilby.
Occupant une place honorable aux côtés du plus rude circule, virgule, ou je t’apostrophe, du plus sportif on ne t’as pas demandé si ta grand-mère fait du vélo, du plus commercial t’occupe pas de la marque du vélo, ne pas s’occuper du chapeau de la gamine suivra son bonhomme de chemin jusqu’à la moderne irruption de la casquette modèle base-ball sur tous crânes masculins et féminins confondus.
Le renoncement évident à s’occuper avec dignité de ce qui couvre alors plus l’occiput que le front¹ marque en effet la disparition de l’expression.
T’occupe pas de la casquette à l’envers de la meuf ne parviendra pas à émerger, largement distancée par de plus contemporaines invitations à aller s’accoupler avec sa génitrice ou à déguster en guise de repas ses ancêtres disparus², mais ceci est une autre histoire.
Langue fleurie et élégance (souvent fleurie elle aussi) sombreront rapidement dans l’oubli laissant la part belle au fâcheux puisqu’on ne le chasse plus.
1 comment for “Ne pas s’occuper du chapeau de la gamine [ne pa sòkypé dy Sapo de la ɡamin]”