[nə pa i avwaʁ də lezaʁ] (loc. animal. MUSIQ.)
Descendant direct des dragons mythologiques, le lézard indique par sa présence ou absence qu’une situation est sous contrôle ou non. C’est étrange, certes, mais c’est ainsi dans le langage suranné.
Bien entendu la question se pose de comprendre en quoi ce sympathique reptile de l’ordre des squamates détermine que les choses vont mal se passer ou qu’à l’inverse, ça craint dégun comme on dit en synonyme de ne pas y avoir de lézard dans cette belle région de Provence qui est aussi celle qui accueille le plus de lézards dans ses murailles et devrait ce faisant privilégier l’expression.
Il est possible que le varan de Komodo, le gecko diurne à poussière d’or de Madagascar ou le margouillat de Nouméa ne soient pas le sujet réel du problème (à venir ou évité), mais que le lézard en question provienne d’un phénomène physique de rétroaction acoustique bien décrit au début du XXᵉ siècle par Søren Larsen, fameux physicien danois qui légua son nom à la postérité sonore (cf. ci-dessous).
L’effet Larsen ou cette désagréable distorsion des amplificateurs lorsqu’un microphone s’en approche trop près apparaît dans la téléphonie dès sa mise en œuvre par Graham Bell en 1876, puis prend ses aises dans les studios d’enregistrement enfumés où des musiciens créatifs jouent aussi avec leur pédale wah-wah pour faire de drôles de bruits, mais ceci est une autre histoire. Il deviendra même la marque des rebelles s’apprêtant à briser leur Gibson ou leur Fender Stratocaster sur scène, donnant le signal que c’est parti pour le grand n’importe quoi.
De Larsen à lézard il n’y a qu’un pas d’autant plus facile à franchir qu’on n’entend moins bien quand il se produit et que les deux mots peuvent facilement se confondre. Ne pas y avoir de lézard prendra la place de ne pas y avoir de Larsen, sous-entendu ne pas y avoir de problème fâcheux.
Avec la démocratisation du hard-rock, du heavy-metal, du black-metal et autres subtilités cacophonantes pour tatoués agitateurs de crinières ondulées comme celle de California girls des belles années, ne pas y avoir de lézard quittera petit à petit les zones spécialisées de son expression pour devenir commun à toute situation sans complication particulière.
On est tellement sans souci dans ces années surannées que « Houston on a eu un problème » est le maximum de l’inquiétude annoncée quand l’équipage d’Apollo 13 s’aperçoit qu’il y a une couille dans le potage avec sa fusée et qu’il risque tout simplement de ne pouvoir rentrer sur Terre¹ (ré-écoutez le son original ci-après)…
La modernité étant avant tout marquée par la transformation en problème de toute question existentielle ou totalement futile², ne pas y avoir de lézard ne pouvait continuer d’y diffuser son optimisme béat et suranné, et surtout peu créateur de valeur ajoutée.
Il n’y a rien à gagner à ce qu’il n’y ait pas de lézard. Cette bestiole et son expression n’avaient que trop duré.