[avwar ê nô a kuSé deòːr] (expr. fig. MOQU.)
Avant la tête du client il y a le nom du client. Et si l’habit ne fait pas le moine, le patronyme fait la réputation en ce bon Moyen-Âge bien suranné comme nous l’aimons en cette docte Encyclopédie.
Au temps d’où nous viennent nos expressions surannées on aime à décrire ce qui est (ou ce qui est supposé être). Et le nom qui n’est pas forcément de famille (l’état-civil est balbutiant avant François1er) est quoi qu’il en soit fort parlant.
Le bedonnant se nommera Legros, le type qui habite près du pont Dupont, et l’on peut s’étonner qu’on n’ait pas hérité de Dumalcomprenant¹ car la descendance de cette famille sévit encore de nos jours (mais ceci est une autre histoire).
Nous voici donc avec une flopée de plus ou moins braves gens, grosso modo issus d’un des trois ordres qui régissent alors l’organisation sociale de notre beau royaume : les oratores (hommes d’Église qui prient), les bellatores (nobles seigneurs et chevaliers qui se chargent principalement de bouter l’Anglois hors de nos frontières) et les laboratores (paysans qui s’en vont glaner aux champs).
Comme tout un chacun, lorsqu’ils sont en déplacement ces messieurs s’en vont à l’auberge (les dames parcourent peu nos campagnes peu sûres à l’époque). Et tout comme en notre moderne époque les auberges sont parfois surbookées. Mais la réservation ne compte pas car c’est le patronyme qui fait l’accueil. Et précisément celui qui a un nom à coucher dehors ira… coucher dehors.
Parce que le nom reflète l’appartenance sociale. Ainsi Lancelot du Lac aura la suite avec le grand lit double et la vue sur la mer, Chrétien de Troyes pourra dormir dans la chambre avec bac à eau presque propre et de Lachèvre qui Pète, nom à coucher dehors, se contentera de la paille de l’étable. Et encore.
Nombre de vilains qui portaient des noms à coucher dehors furent ainsi occis par des écorcheurs ou dévorés par les loups qui rôdaient comme ils dormaient à la belle étoile. La vie fut compliquée pour les Têtedenœud, les Boursemolle, les Moudugenou et les Bouchamiel, tous disparus aujourd’hui sauf erreur².
Mes ancêtres marchands venus de Genève avec brillants et étoffes plein les coffres, qui n’avaient donc pas un nom à coucher dehors, n’ont dû dormir que dans des couches de plumes d’oies et, au vu de leur rang de riches et puissants, avec la serveuse de l’auberge en oreiller. Ils ont cependant très largement dilapidé cette fortune familiale ce qui fait qu’en cette époque moderne je me dois désormais de réserver un hôtel et trouve parfois porte close quand par distraction j’ai oublié. Vous comprenez pourquoi j’aime le suranné.
Administration de l’état-civil rigoureuse aidant, plus personne n’a de nos jours un nom à coucher dehors. Heureusement. Je vois pourtant un bon paquet de mec coucher dehors sur des cartons, sous des ponts ou des porches, mais ils sont certainement anonymes et inconnus. Ils finiront sans nom au carré des indigents. Pas certain que pour autant l’honneur soit sauf.