[ɔpinɛl] (marq. dép. COUTEL.)
L‘Opinel n’est pas un objet comme les autres. C’est une idée de transmission, d’héritage, qui se cache derrière ce petit couteau savoyard inventé par Joseph Opinel en 1890 (hop, suranné).
Depuis les années 1800 on forge et on travaille dans l’atelier de taillanderie familial chez les Opinel et c’est ainsi qu’en 1897, Joseph a l’idée géniale de décliner en douze tailles un couteau dont il a imaginé la forme.
Pour les différencier, il les dote tout simplement de numéros de 1 à 12. Le succès c’est toujours du bon sens, pas de la mercatique. Quelques années plus tard, respectant une tradition instaurée par Charles IX en 1565, il appose une emblème sur ses lames comme garantie de leur qualité : c’est La Main Couronnée¹.
J’ai reçu mon premier Opinel vers l’âge de dix ans. Un cadeau de mon père. Un numéro 6 avec sa lame Yatagan à pointe relevée inspirée d’un sabre turc et son manche en hêtre. Évidemment au début le bois est beaucoup trop propret et il me faut rapidement le patiner si je veux ressembler à un homme. Alors je mange à tous les repas avec mon Opinel, ça fait râler ma mère qui n’est pas une adepte du dépareillé mais c’est le prix à payer. Je bricole avec mon Opinel tout ce qui me tombe sous la main, je coupe, je taille en pointe, je grave des cœurs dans le tronc des arbres.
Par le plus grand hasard. En cheminant lors d’une promenade impromptue en ces lieux que je ne fréquente plus depuis longtemps, reprenant sans idée un chemin de l’enfance, j’ai rencontré ce tilleul où j’avais creusé un cœur et entrelacé des initiales.
Le vieil arbre les avait conservées, les patinant juste ce qu’il faut sans les détruire. Je crois que les arbres aiment avoir de la mémoire. Soyons honnête, ce sont mes initiales qui ont d’abord attiré mon attention. Elles s’entrelaçaient plus ou moins esthétiquement avec un S et un T. On pouvait lire dans leurs positions respectives les frémissements d’une volonté d’harmonie. Quatre lettres, deux prémices, deux espoirs certainement; mais surtout deux inconnues. A qui appartiennent donc ces initiales ? Qui fut celle qui me bouleversa au point de m’obliger à laisser une trace que j’espérais éternelle ? J’ai beau chercher, je suis sans certitude. Un sentiment, au mieux une intuition, mais rien de sûr. Un prénom qui se dessine tout juste, mais les prénoms de mon enfance étaient si convenus qu’il est aisé de supputer. Soyez donc indulgents, j’avais dix ans !
J’ai eu un Opinel numéro 7, j’ai dû graver des cœurs. Un 8 aussi. Certainement d’autres cœurs.
J’ai vu en flânant que la marque savoyarde avait créé « mon premier Opinel », sans pointe pour ne pas se blesser. Précaution. C’est bien de penser aux enfants; c’est vrai qu’à l’époque surannée plus d’une fois il m’a été donné de constater que l’angle d’affilage de 40° de la lame d’acier servait aussi à entailler les doigts.
C’est bien, mais Diable comment vont-ils donc faire pour dessiner des cœurs au creux des arbres ?
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