[ên- uvraZ de pénélòp] (exp. comp. ODYSS.)
Par essence, le Dictionnaire raisonné des mots surannés et expressions désuètes est hors du temps moderne qui nous mène aujourd’hui. L’actualité ne lui chaut guère et les événements du quotidien lui en touchent une sans faire bouger l’autre comme il se dit parmi ses pages. C’est là toute sa force.Rédigée par Homère au VIIIᵉ siècle avant JC, l’Odyssée nous conte la balade d’Ulysse qui mit près de dix ans à faire le trajet Troie-Ithaque où l’attendait sa femme. Tous les géographes savants n’étant pas en accord sur la position d’Ithaque nous n’épiloguerons pas sur la durée du trajet qui reste quoi qu’il en soit de quelques milliers de kilomètres tout au plus. De là à penser qu’il se paya une tournée des grands-ducs (mais ceci est une autre histoire)…
Pendant ces dix années d’attente, Penelope femme d’Ulysse, mis en place un stratagème génial qui donna vie un peu plus tard à l’expression d’un ouvrage de Penelope. La raison était simple : la belle avait promis de prendre un nouvel époux (le sien étant présumé disparu) lorsque son travail en cours, une toile tissée, serait enfin terminé. Et comme elle ne semblait que très peu motivée par ces deuxièmes épousailles elle défaisait chaque nuit ce qu’elle avait tissé durant le jour fixant ainsi les règles d’un ouvrage de Penelope.
Le travail saboté pour qu’il ne se finisse jamais (l’action étant par ailleurs motivée par une noble morale) qui était le principe de l’ouvrage de Penelope glissa au fil des siècles vers le sens d’un acte qui ne mène nulle part si ce n’est dans le mur. Cruel destin du sens, mais la fidèle Pénélope devint porteuse d’une tare mêlant paresse et fourberie, elle qui avait juste envie de tisser.
Il faut dire ce qu’il est : l’ouvrage de Penelope demeura cantonné dans le registre suranné tant son usage demandait de drastiques conditions pour s’afficher dans une conversation. Il trouva en faire et défaire c’est toujours travailler une traduction prosaïque qui eut son heure de gloire après l’invention de l’organisation scientifique du travail par ce bon vieux Frederick Winslow Taylor, mais rien qui ne lui arrive à la cheville pour ce qui est de l’histoire contenue.
Peut-être l’entendis-je en reproche une fois ou deux dans la bouche d’un solide barbacole à propos d’une dissertation que je prétendais peaufiner à souhait ou d’un exposé révolutionnaire que je tardai à remettre, mais rien de plus.
L’ouvrage de Penelope est bien condamné à demeurer emmuré. N’est-ce pas ?