[papjé darméni] (marq. dép. BENJ.)
Douze feuilles de papier buvard de couleur acajou, prédécoupées en trois dans le sens de la longueur formant en tout trente-six lamelles sur lesquelles sont imprimées avec une typographie surannée la marque, la mention triple et la signature d’Auguste Ponsot. Le tout protégé d’une légère couverture d’un vert et jaune à faire se pâmer les coloristes des voitures anglaises. Un must.
Auguste Ponsot, joyeux petit chimiste de Montrouge, découvre à la fin du XIXᵉ siècle la douceur envoûtante du benjoin du Laos et la poésie de la Nam Khan river, affluent du Mékong, en buvant une bière à l’Utopia¹ (enfin, j’imagine…). Avec son compère pharmacien Henri Rivier, ils mélangent des trucs et des machins, font brûler et exploser des éprouvettes, dissolvent des bidules dans de l’alcool à 90° et inventent le papier d’Arménie. Nous sommes en 1885.
L’Exposition d’hygiène de 1888 (oui oui, l’Exposition d’hygiène) et l’Exposition universelle de 1889 saluent la création en lui décernant leur satisfecit dûment couronné et primé.
Dès lors le carnet vert et ses lamelles parfumées à faire se consumer embaumeront les intérieurs de leur subtilité orientale, un parfum de mystère évoquant les forêts de styrax et de tecks, la mousson, les éléphants majestueux et les tigres dangereux.
On croisera le papier d’Arménie avec Gainsbourg et ses petits papiers qu’il faut laisser brûler qu’ils puissent – papiers maïs – vous réchauffer (1965), puis dans Les Allumettes suédoises² nous contant les aventures d’Olivier dans ce Paris des années 30. Partout, cette fragrance ensorcelante qui laisse se promener les rêves sans pour autant nous élever aux paradis artificiels.
De modernes prudents découvrent du benzène et du formaldéhyde dans le soudainement nocif papier d’Arménie. Un monde qui enfouit bien profond ses déchets avec lesquels le futur est aimablement prié de se débrouiller décrète que la combustion incomplète du papier buvard est mauvaise pour la santé. Sur un papier blanchi au chlore, les experts en précaution impriment des conclusions qui envoient le papier d’Arménie brûler en surannéité à défaut de l’enfer. On pourrait presque en rire.
Quelques vieux cons surannés se croyant plus forts que le mal continuent, les ambitieux, à faire brûler leurs lamelles de triple papier d’Arménie. À Montrouge, autour de l’usine qui le produit depuis plus de 130 ans, ça sent le benjoin et les riverains qui ne sont pas experts disent que ça sent bon et qu’ils aiment ça. Les inconscients !