[papjé pê] (n. comp. DÉCO.)
Depuis le paléolithique l’être humain aime décorer ses murs. L’apposition verticale de son idée du Beau encombre ainsi les parois de sa grotte à Lascaux, les murs de ses maisons à Pompéi, les cloisons Placo®-plâtrées de ses pavillons de banlieue à Nogent, avec cette idée sourde et commune d’épater les voisins lorsqu’il viendront prendre l’apéro.
À l’époque étudiée en ces lignes et dite du Suranné, le désir impérieux de massification des solutions esthétiques poussa donc l’être humain (qui n’en demeure pas moins un capitaine d’industrie cherchant son bonheur dans les marges de son chiffre d’affaires, mais ceci est une autre histoire) à inventer et diffuser largement le papier peint. Sous les auspices consuméristes d’un proverbe qui veut qu’abondance de bien ne nuise pas, il encolla et en colla partout, chaque pièce de son antre retrouvant dans un motif chiadé de subtiles allusions à sa fonction.
Cuillères de bois et marmites bouillonnantes pour la cuisine, paysage champêtre imitant l’Angélus de Millet pour le lieu d’aisance¹, disques de couleurs enchevêtrés allant du brun au jaune pour le salon, tournesols géants issus d’une vision sous LSD pour la chambre d’enfants et nymphes graciles se prélassant sur l’herbe dans un flou artistique pour la suite parentale prirent ainsi place sur toute surface d’une largeur supérieure à un lé (soit cinquante trois centimètres).
Le papier peint attirant en ces temps tout ce que l’art graphique comptait de meilleur et de plus visionnaire, les motifs répétés s’imprimèrent par milliers, générant des traumatismes qui enrichiraient bien des années plus tard les hordes médicales et psychologisantes de l’analyse des pensées cauchemardesques. Il est plus que probable (bien que non prouvé scientifiquement) que l’on doive au papier peint les élucubrations modernes faisant d’une vache découpée nageant dans le formol une forme artistique, ou encore les formules va-t-en-guerre des puissants atomiques belliqueux. Comment pourrait-il en être autrement ?
Le papier peint est à coup sûr la cause majeure des lésions actuelles qui ravagent le cerveau des vieux cons surannés.
Bien opportunément une modernité salvatrice empreinte de sérénité repeint tout ça en écru², nougat², gris urbain², rose macaron², blanc cassé², cassonade², gris souris², et autre couleurs apaisantes bien incapables de générer la moindre envie de tronçonner un animal pour l’exposer dans son salon ou de faire péter la planète.
L’avenir est vert paraiso², le papier peint ne gagnera pas.