[le paraplÿi bylɡaːr] (n. com. KGB)
En tous points y compris les plus sombres, l’époque surannée avait un style qui n’appartient qu’à elle et à ses souvenants. En matière meurtrière il n’était pas question qu’elle dérogeât à la règle et se compromît avec de pendables méthodes à base d’utilisation de serviles cerbères tout prêts au coup de poing.
C’est pour cela que dans sa sophistication mortifère portée en étendard par les services secrets de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques, elle inventa le parapluie bulgare. De prime abord le parapluie bulgare semble trouver sa place dans une litanie digne du Kâmasûtra selon San-Antonio, entre la balance Roberval et le papillon soudanais, le tourbillon cosaque et le coup du Grand Vizir… Il n’en est rien.
Le parapluie bulgare n’est pas une disposition au plaisir des sens mais une disparition programmée du corps qui les abrite. Car le parapluie bulgare pique, doté qu’il est, le discret, d’une seringue bien remplie de ricine. Et comme vous le savez la ricine est une glycoprotéine très toxique formée de deux chaînes polypeptidiques reliées entre elles par un pont disulfure. Le tout entraînant la mort après ingestion¹.
Le parapluie bulgare connut son heure de gloire en septembre 1978 avec l’assassinat de l’écrivain et dissident bulgare Georgi Markov par les services de son pays. Il faut dire que le diable avait pris comme loisir d’animer sur la BBC une émission radiophonique qui ne masquait guère ses sentiments défavorables à la doctrine marxiste. Et la barbouze du Komitet za Darzhavna Sigurnost n’apprécie pas que l’on balance sur la mère patrie, c’est ainsi.
Le coup du parapluie bulgare ne pouvait se dérouler ailleurs qu’à Londres, ville dans laquelle le port du dispositif de protection est proche de l’obligatoire et ne passe ainsi pas pour suspect. Essayez d’imaginer le coup du parapluie bulgare à Barcelone… Bref, Georgi Markov mourut d’une piqûre de parapluie bulgare.
Deux ans après son apparition à la une des journaux du monde libre, le parapluie bulgare connaissait la reconnaissance du plus grand public, grâce à Pierre Richard et son interprétation de Grégoire Lecomte dans un film de Gérard Oury : le coup du parapluie. Un succès.
La fin de la guerre froide et le réchauffement climatique eurent raison du parapluie bulgare. Le pébroque de Sofia rejoint dans le musée des accessoires du mal d’autres équipements meurtriers surannés comme la canne-épée, le stylo-revolver et la bague à poison. Dans un monde moderne aux ennemis multiples et aux saisons changeantes, il n’est aucun besoin d’un parapluie pour se prémunir des uns et se protéger des autres.
NB : en 2013 le délai de prescription de l’affaire du parapluie bulgare scella le dossier judiciaire.