[pa ê mo a la rèn mèr] (titr. CINÉ)
Quand le 7ᵉ art cinématographique crée de l’expression surannée, alors on peut dire qu’il a marqué son temps, qu’il est chef d’œuvre.On est bien loin des modernes statuettes en métal doré et des comptes d’apothicaire sur celui qui a la plus grosse recette en un jour, trois semaines ou six mois, qui agitent désormais les critiques cinéphiles, comme si le chiffre d’affaires avait à voir avec l’empreinte qu’un film va laisser. Mais ceci est une autre histoire.
Film français de Maurice Cloche sorti en 1947 (d’après la pièce d’Yves Mirande et Maurice Goudeket), pas un mot à la reine mère fut rapidement utilisé comme expression du quotidien dont j’entendais bien qu’elle recouvrait un certain secret et demandait silence et discrétion.
Lorsqu’elle était prononcée par mon grand-père juste après avoir commandé à Marcel¹ un deuxième petit blanc limé et mon diabolo menthe préféré, j’y entrevoyais les tenants d’un genre de pacte, un truc que les vrais hommes comprennent sans avoir à en dire plus, une parole sibylline et codée gravée au fronton d’un temple païen, notre serment de Koufra en quelque sorte. Et je ne mouftais pas, complice.
Selon l’humeur, pas un mot à la reine mère pouvait faire bis, voire bis repetita placent, et dans les grands jours changer mon diabolo en galopin. Bien entendu l’expédition me transformait en Manneken-Pis mais ça en valait la peine (trois diabolos et une bibine c’est diurétique).
Un apophtegme qui se transmet de père en fils
N’ayant jamais vu l’œuvre de Cloche et son histoire un peu « boulevards » de la reine mère de Neustrie et de son fils trouvant refuge à Londres (le roi Boris tombant amoureux de la fille d’un américain riche comme Crésus mais avec nulle particule – l’amour triomphera malgré l’opposition de la reine mère, d’où le titre), je ne mesurais que très vaguement l’obstacle aux bons plaisirs que constituait naturellement toute forme d’autorité matriarcale qui se respecte.
Car c’est bien de cela dont il s’agit : pas un mot à la reine mère est l’apophtegme qui se transmet de père en fils pour s’éviter… bien des ennuis. Une parole de sagesse pragmatique, un axiome dont on mesure au caractère gouailleur la zone de compétences, entre tournée des grands-ducs et petite incartade apéritive.
Bien heureusement Simone de Beauvoir et ses disciples mirent fin au scandaleux pas un mot à la reine mère. Depuis les années modernes plus aucun homme ne cache quoi que ce soit à sa femme (ou à sa mère, c’est selon) car il n’a aucune raison de le faire. Et ça c’est bien.
Si « Pourquoi lui cacher tant de choses ? » est une question qui revient parfois ce n’est qu’en mots croisés² rassurez vous, et on le sait, les cruciverbistes sont de vieux cons surannés qui aiment à se jouer des mots.
Quel plaisir de vivre à une époque où personne n’a de petit secret, évitant désormais la mesquinerie.
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