[pa piké dé antô] (exp. INSECT.)
La langue surannée n’aime rien tant que chercher la petite bête. Celle qui monte qui monte qui monte et qui fait guili-guili, celle qui grattouille, celle qui chatouille.
Dans cet exercice qui consiste à magnifier l’insidieusement petit, le négligeable, le détail (n’oubliez jamais que le Diable s’y cache), elle excelle comme nulle autre novlangue ultra-moderne à base de barbarismes pseudo-scientifiques ne saura jamais le proposer.
Pour parvenir à l’expression surannée d’aujourd’hui il nous faut étudier les insectes (je vous l’ai dit, la bébête qui monte qui monte…). Si tu as peur des araignées, des mouches et des abeilles : cours !
Ne pas être piqué des hannetons nous vient des époques lointaines où la récolte de céréales avait une importance cruciale pour la survie des habitants du village l’hiver qui suivrait. Je m’explique : le melolontha melolontha plus connu sous son petit nom de hanneton commun a une fâcheuse tendance à boulotter toutes les cultures qu’il croise et à ne laisser derrière lui que la portion congrue pour celui qui avait sué sang et eau pour faire germer son blé. En un mot comme en cent, le hanneton est un malappris des plus sans-gênes et a une nette propension à se croire chez lui et à mettre les pattes sur la table du salon tout en vidant le réfrigérateur.
Une récolte qui n’était pas piquée des hannetons c’était une récolte qui nourrirait son village et son bourg une fois la bise venue, et la famine ne viendrait pas, et la peste non plus et les loups resteraient dans les bois (ne dévorant que les petites filles égarées avec leur petit pot de beurre et leur galette mais ceci est une autre histoire).
Cheminant au fil des saisons, l’expression ne pas être piqué des hannetons colporta son sens premier d’état conforme à l’attendu, de consommable, de non vicié.
Là où elle devint nettement plus intéressante c’est quand elle s’appliqua à un comportement qui n’était pas celui de l’insecte en question. Mais pourquoi se mit-on un beau jour suranné à dire d’un galopin qu’il n’était pas piqué des hannetons quand justement une mouche semblait l’avoir piqué ? Et cette donzelle légère, qu’avait-elle de commun avec les hannetons si ce n’est qu’elle aimait se rouler dans les blés ? Est-ce pour cette simple raison qu’on se mit à dire d’elle que son comportement n’était pas piqué des hannetons ?
Comme je n’atteignais pas encore l’âge de raison, les hannetons me semblaient parfois avoir envahi une bonne partie de mon univers : je ne pouvais fréquenter tel copain car il n’était pas piqué des hannetons, compulser tel magazine car il n’était pas piqué des hannetons, visionner cet autre chef d’œuvre du cinéma mondial car il n’était pas piqué des hannetons. Chaque jour les hannetons gagnaient un peu de terrain et leur piqûres m’interdisaient d’explorer un terrain qui semblait prometteur.
Il m’a fallu attendre encore un peu pour comprendre que les hannetons étaient surtout les gardiens pudibonds d’un monde peuplé de joyeux drilles et de blondes avenantes. Quand enfin j’y entrai pour goûter leur morsure, elle me marqua les chairs.
Je constatais alors que ces petites bêtes n’étaient pas bien méchantes et que surtout, je préférais les gens et les situations quand ce n’était pas piqué des hannetons.
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