[ne pa se muSé dy pjé] (loc. acrob. PÉT.)
Si l’évidence bâtit parfois des expressions qui égareront le chercheur dans sa quête de sens détourné, il lui arrive aussi de faire d’un truisme aussi peu ragoûtant qu’un cochon se vautrant dans la fange une splendide construction jouant du contrepied.
Tel est le cas de ne pas se moucher du pied.
Hormis pour deux ou trois gymnastes aux vertèbres sacrifiées depuis leur plus tendre enfance pour la gloriole dorée d’une médaille censée magnifier une nation toute entière (mais ceci est une autre histoire) ou pour quelques saltimbanques contorsionnistes à l’origine de l’expression, il est en effet impossible de se moucher du pied.
NDLR : ceux de bien peu de foi qui auront essayé pour tenter de démontrer une faille dans notre affirmation, connaissent désormais la douleur d’un genou brisé ou d’une cheville en miette.
L’éjection des mucosités nasales s’effectue toujours par pression d’un ou plusieurs doigts, la différence entre les méthodes se trouvant uniquement dans le type de réceptacle utilisé : mouchoir en papier ou tissu, paume de la main, manche de veste (mais jamais une chaussette puisqu’il est impossible de se moucher du pied, cf. princeps).
Si ne pas se moucher du pied n’a pas vocation à classer ces approches aux conséquences sanitaires et urbaines diverses mais à faire apparaître l’ego largement surestimé de l’enrhumé, elle inscrit malgré tout une échelle de la morgue dont la morve est l’unité.
Le morveux qui affiche de grands airs supérieurs ne se mouche pas du pied, se prenant un instant pour l’élégant en savoir-vivre qui saisit son mouchoir entre pouce et index puis fait son office sans tambour ni trompette.
L’attitude surjouée de l’infatué plus habile à monter sa grand-mère au grenier qu’à cacher sa suffisance trouve dans ne pas se moucher du pied le commentaire qui griffera le moins son moi trop plein de soi puisque, rappelons-le, l’expression en vigueur jusqu’au XVIIᵉ était péter plus haut que son cul. Une évolution sensible et un peu moins nauséabonde bien que toujours repoussante, qui verra elle aussi sa fin arriver avec la modernité.
Avec trente milliards de mouchoirs en papier vendus chaque année en France il est évidemment hors de question de blâmer le consommateur qui pourra bien se moucher comme il l’entend, y compris si c’est du pied ou de tout autre organe préhensile ou non.
Le client a toujours raison et c’est là bien assez pour faire de ne pas se moucher du pied une expression surannée.