[pasé a las] (loc. verb. CART.)
En guise de pied de nez anticipé à tous ceux qui n’oseraient plus la parler plus tard, bien plus tard, la prévoyante langue surannée avait offert les mots pour signifier sa disparition à venir.
Comme de bien entendu, la maline l’avait fait avec son sens de la brouille des cartes, sachant bien que le moderne se piquerait de comprendre son passer à l’as même sans y entendre grand chose. La perfide…
S’il faut trouver un sens à passer à l’as c’est bien celui-ci : disparaître discrètement, sans que la plupart des vivants s’en aperçoivent, avec en sus la profonde espérance de demeurer inutile dans l’oubli. Il convient donc d’envisager l’as comme celui de valeur minimale du jeu de cartes, et non l’as et ses trois compères du carré qui raflent la mise au poker ou l’as de as façon Bébel jouant des poings et sautant en parachute.
Cette ambiguïté cartomancienne somme toute déroutante fait s’interroger sur ce passer à l’as qui a tout ce qu’il faut pour signifier devenir le roi du monde, passer dans la catégorie supérieure, ou quelque chose du genre. Mais non. Passer à l’as c’est filer en surannéité, plonger dans l’oubli.
En refusant de préciser qui du cœur, du trèfle, du carreau ou du pique est l’as concerné, passer à l’as laisse la place à de nombreuses possibilités : on pourra dès lors facilement passer à l’as dans une histoire de cœur, passer à l’as parce qu’on est fagoté comme l’as de pique, se tenir à carreau et devenir ainsi suffisamment discret pour totalement passer à l’as, et passer à l’as comme le Tricheur à l’as de trèfle de Georges de la Tour, oublié au profit du Tricheur à l’as de carreau.¹
Le débat sur l’as concerné semblera aboutir en 1704 avec le travail de classement réalisé par Claude-François Ménestrier, jésuite qui fera du cœur la marque des ecclésiastiques (les seuls à en avoir), du pique celle de la noblesse avec ses armes belliqueuses, du carreau celle des bourgeois et du trèfle bien entendu celle des paysans.
Passer à l’as de trèfle aurait pu émerger en toute légitimité mais le brave homme ne passera pas l’hiver et son classement passera à l’as.
Trois siècles plus tard, comme la sérénissime surannée l’avait imaginé, passer à l’as est bien passé à l’as, accomplissant sa drôle de destinée.