[pase paʁ lalɑ̃bik] (loc. alcoo. EAU-DE-V.)
Le bouilleur de cru, éminent personnage des années surannées, a eu deux heures de gloire.
La première fut celle de dégustation de sa production toujours virile, parfois goûtue, souvent curieuse et demandant à être renouvelée pour se faire une idée.
La seconde se concentre dans passer par l’alambic, expression qui consiste à souligner que l’on va traiter une question avec la plus grande précision, voire méticulosité.
Elle rend évidemment hommage au travail exceptionnel du destructeur de neurones des campagnes françaises qui s’appliquait à la distillation de la pomme, de la betterave, de la patate, de la cerise, de la mirabelle et de tout ce qui pouvait inspirer sa créativité et conséquemment produire une gnôle qui fasse rougir les joues et bredouiller les souvenirs.
Est-ce par proximité du raffinement dans la production ou par consommation assidue des breuvages susnommés que l’expression s’est retrouvée dans le jargon des métiers consistant à éplucher et produire du dossier ? Nous ne saurions répondre formellement en ces lignes. Mais force est de constater qu’il se dit du juge pointilleux, du comptable sourcilleux, du responsable de la photocopieuse à cheval sur le règlement qu’ils passent par l’alambic les tâches qui leur incombent. Grâce à eux le Diable ne trouve pas un détail dans lequel s’immiscer et l’à-peu-près s’évapore aussi vite qu’un alcool lorsqu’approchent les 78,5° C.
On n’est pas loin d’éplucher les écrevisses avec passer par l’alambic, avec cependant une pointe de respect due à cette contribution si particulière de l’éthanol et du méthanol (celui du temps des grandes heures et dont on a dû arrêter la fabrication à cause des clients qui devenaient aveugles¹) au rayonnement de la culture française. Compte tenu de cette place de choix de l’eau-de-vie dans la vie (puisqu’elle en est l’eau), on peut affirmer que passer par l’alambic oscille entre l’éloge et le soulignement d’une assiduité pouvant confiner au zèle. Elle est ainsi autant laudative que critique, ce qui explique en partie la difficulté de son usage.
Ce n’est pourtant pas cette complexité qui sera la raison de sa chute en désuétude. Pas plus qu’une forme quelconque de je-m’en-foutisme dont certains aiment affubler les djeuns’ modernes tout autant capables de passer par l’alambic que leurs aînés.
C’est la lutte juste et farouche contre le p’tit-dernier-pour-la-route et le pousse-café qui chassera passer par l’alambic dans les oubliettes surannées. La vie, moins chargée en eau-d’elle-même y gagnera. Mais comme à l’accoutumée c’est la langue surannée qui paiera l’addition.