[péjé â mònè de sêZ] (loc. verb. FINANC.)
Alors que les modernes s’écharpent allègrement sur la question d’une monnaie leur permettant de régler à la fois leurs différends et leurs emplettes quotidiennes, se renvoyant au visage Francs, Euros, Écus, Dollars, Yen, Bitcoin, cauris, Francs CFA, troc, etc., ils devraient s’arrêter un instant et lire ci-dessous, car en l’espèce comme en tout le suranné a toujours une solution¹. Définition, explication.
Convaincu dès le plus jeune âge que l’argent ne fait pas le bonheur mais qu’il en faut tout de même pour ne pas s’exposer au malheur, je développai vers six ou sept ans un audacieux commerce de lavage de voitures (paternelles et voisines), tonte de pelouses, promenades canines, et autres menus services qui me permettait de régler mes dépenses (déjà) somptuaires en Pif Gadget, Journal de Mickey, Veinards et friandises en tous genres. Cette entrée dans le capitalisme débridé allait se fracasser lorsque je découvris, interloqué, qu’on pouvait me payer en monnaie de singe.
Une voisine quelconque dont le nom s’est effacé me fit en effet l’affront de m’offrir quelque babiole en guise de salaire de la sueur, un jour où j’avais dû ramasser plus de feuilles qu’un automne où il faisait beau n’aurait pu en produire, une saison qui n’existe que dans le Nord de l’Amérique, là-bas on l’appelle l’été indien, mais je m’égare encore.
Estomaqué par ce culot semblable à celui de Saint-Louis décidant de plumer l’oie sans la faire crier avec une énième taxe de quatre deniers pour qui franchirait le petit-pont reliant l’île de la Cité à la rue Saint-Jacques, je battais en retraite, pensant bien fort à ce que disait Audiard de ceux qui osent tout.
Sous les quolibets de congénères jouisseurs qui avaient employé leur journée à jouer, eux, je découvrais dès lors que mon labeur ne valait rien de plus en guise de paiement que de la monnaie de singe, forme utilisée au XIIIᵉ siècle par les forains qui faisaient exécuter une pauvre cabriole à leur macaque enchaîné pour solde de tout compte au franchissement du pont susnommé et à la taxe imaginée par le roi.
Payer en monnaie de singe ou s’imaginer une dette réglée par l’entrechat médiocre d’un esclave obligé vaut donc acquittement d’un dû dans l’esprit étriqué de certains. On notera au passage le bien peu de cas fait du malheureux animal affublé ce faisant de toutes les tares humaines dont celle du mépris, lui qui n’a certainement jamais demandé quoi que ce soit pour ses pitreries mais qui goûterait bien un peu de liberté sans chaîne.
Payer en monnaie de singe est la marque bien peu sonnante et trébuchante de la morgue pour le bien ou le service apportés et surtout pour celui qui les a proposés. En quelque sorte le signe que ça ne vaut pas son pesant de cacahuètes, comble de l’injure quand on imagine s’adresser à un singe par définition friand de l’arachide.
La dernière trace d’un paiement en monnaie de singe date précisément du 18 février 2002 et fut effectué en francs, monnaie dont 6,55957 unités valaient la veille encore un de ce nouvel euro, mais plus une cacahuète ce jour précis. Devinez qui le reçut…
Depuis, la maison n’accepte plus ni chèques ni espèces et ne fait pas crédit².