[peʃe a la liɲ dɑ̃ lø stix] (EXP. GREC. MORT.)
Être mort est un état officiel constaté par l’administration dont le fort pour la jolie formule n’est pas la première qualité. Bien heureusement la langue de la vraie vie s’est chargée là aussi de décerner à la camarde certifiée de quoi faire montre de culture voire de donner envie.
De celui qui n’est plus parmi nous (ce dont chacun se rendra compte en balayant l’assemblée du regard) elle préfère dire qu’il est allé pêcher à la ligne dans le Styx expliquant ce faisant l’absence qui pourrait sembler momentanée si une subtile référence à la mythologie ne venait la teinter.
En effet, si le zig était parti taquiner le goujon dans la Saône ou la Meuse on pourrait raisonnablement s’attendre à un retour dans l’après-midi (ou en début de soirée en cas de détour par le Balto), mais la mention de l’un des fleuves de Enfers ne laisse que peu de place au doute. Pêcher à la ligne dans le Styx est un loisir dont on ne se remet pas. Et même en cas de prise exceptionnelle (ce gros brochet qui nous narguait depuis des années) on ne fera pas demi-tour pour s’en vanter.
Comme il a fait ses humanités (et parfois lu la Divine Comédie), le citoyen des années surannées sait que ça sent le sapin quand la potamologie grecque s’invite dans l’expression. Il comprend l’allusion : le pêcheur est désormais ad patres et paisible puisqu’il persiste à lorgner patiemment le bouchon comme il le faisait chaque jour. Il a simplement changé de rive. Le Styx plutôt que la Marne; et rien ne nous dit que le petit vin blanc ne s’écluse pas avec Charon (on peut être passeur et aimer s’en jeter un petit derrière la cravate entre deux livraisons).
L’oubli progressif des épopées d’Homère, des poèmes d’Hésiode et du théorème de Pythagore précipitera avec lui celui de pêcher à la ligne dans le Styx. Sans Odyssée ou sans triangle rectangle dont le carré de la longueur de l’hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres côtés que pouvait-il en être d’un fleuve des Enfers grecs dans le langage ?
Le moderne se satisfait de décéder. C’est sans ambiguïté. Mais ça semble moins bon vivant.