[pèrdre la kart] (loc. verb. TABERNAC.)
En 1534 Jacques Cartier découvre le Canada. Il y rencontre les indiens Micmac, leur fait le coup des verroteries et autres colifichets, découvre l’art du scalp, goûte le tabac, remonte le Saint-Laurent, commerce avec les Iroquois, plante une croix géante et prend possession de la Nouvelle France au nom du roi.
En 1608 Champlain qui a pris le relais, fonde la ville de Québec et lance les bases d’un large peuplement des régions de l’Acadie, du Canada et Placentia (à Terre-Neuve) par une foule de Français parlant tous, comme il se doit, la langue qu’on ne dit pas encore de Molière puisque ce brave Jean-Baptiste Poquelin attendra 1622 pour naître (mais ceci est une autre histoire).
Ce français là possède comme caractéristique majeure qu’on n’en prononce pas toutes les syllabes et il demeurera ainsi en québécois jusqu’à nos jours. Ce qui signifie que les Québécois jasent peu ou prou le français du XVIIᵉ siècle¹ quand les Français parlent de leur côté une langue qui a évolué dans son énonciation.
Il est donc facile d’accueillir comme suranné perdre la carte, comme le disent encore nos cousins de la belle province. Pour eux, perdre la carte c’est perdre le contrôle d’une situation, et il faut bien dire qu’à part dans Les Pieds Nickelés ministres (1912), on n’a plus guère ouï une telle expression par chez nous autres [NB : vous voudrez bien y mettre du vôtre en lisant cette phrase en roulant les « r » et en étirant la bouche comme pour un sourire niaiseux, histoire de produire une tentative d’accent du Saint-Laurent, merci].
Nul ne sait vraiment si perdre la carte est un hommage à Jacques Cartier qui le premier plaça Mont Royal (devenue depuis Montréal) sur une carte. Ou peut être plus sûrement s’agit-il de celle du Royaume de Saguenay regorgeant d’or et de diamants que les Iroquois décrivirent au crédule malouin, lui fourguant à leur tour pyrite et quartz en guise de richesses sans jamais pour autant lui montrer quelque carte.
Perdre la carte c’est perdre le Nord pour la fièvre de l’or, et le colon s’en trouva fort irrité quand on lui révéla une fois rentré en France qu’il n’avait rapporté que le pendant de toute la pacotille fourguée aux autochtones à plumes quelques années plus tôt. L’Iroquois est rusé comme un Sioux, de carte il n’y avait.
Au moins Cartier² donna-t-il à la langue « faux comme des diamants du Canada »³, rien n’est jamais vraiment perdu.