[le peti ursô] (marq. dép. FRIAND.)
Figure tutélaire rassurante censée chasser les croque-mitaines-ne-faisant-rien qu’à-passer-leur-temps-sous-le-lit-des-enfants-pour-leur-faire-peur-la-nuit, l’ours brun prit tout au long de sa carrière diverses formes familières : marionnette aux côtés de Pimprenelle et Nicolas, peluche géante au Nain Bleu, plantigrade bien vivant au Jardin des Plantes, gâterie de guimauve cachée dans une boite en fer blanc chez ma grand-mère.
C’est sur cette dernière forme comestible (la guimauve, pas ma grand-mère), que se porteront nos investigations car selon toute vraisemblance le Petit Ourson® fait partie intégrante de la ronde surannée.
Inventé en 1962 à Villeneuve d’Ascq par la chocolaterie Bouquet d’Or, le Petit Ourson® pèse depuis l’origine ses douze virgule sept grammes répartis entre guimauve, sirop de sucre, vanille et chocolat selon une recette gardée jalousement au secret depuis plus d’un demi siècle. Avec ses six centimètres de haut et deux de large, le Petit Ourson® n’est pas le plus imposant des grizzlis qui peut tarer quant à lui trois cent cinquante kilos sur la balance, ce qui reste moitié moins du kodiak, bon gros nounours qui règne dans le golfe d’Alaska.
Bref, mieux vaut avoir à faire à un Petit Ourson® qu’à l’un de ses cousins à poils. Face au premier l’homme montrera sa bravoure et sa gourmandise, face au deuxième ou au troisième c’est sur son aptitude à la course que tout se jouera. Et c’est généralement la gourmandise du plantigrade qui emportera la mise, l’ours brun pouvant cavaler à plus de soixante kilomètres par heure…
Même si je cours nettement moins vite, ma capacité à capturer puis dévorer le Petit Ourson® n’est plus à démontrer. Certes avec mes Stan Smith (les vraies, celles des années surannées) je possède un avantage sur le reste de la cousinade quand il est l’heure d’aller quérir une récompense pour le nettoyage des clapiers ou le ramassage des œufs de poules, mais globalement je gagne à la régulière. Il faut dire que la seule évocation de l’objectif gustatif me fait plus saliver que le boxer de la maison qui attend patiemment la venue du facteur afin de lui faire part de son ressentiment pour l’uniforme et la casquette réglementaires. Alors je cours vers le Petit Ourson® avec le fol espoir d’en choisir un plus gros que celui dont devront se contenter celles et ceux arrivés après moi. C’est la dure loi de la jungle.
Mais il n’y a rien à faire : les 12,7 grammes réglementaires sont la norme respectée scrupuleusement par le fabricant. Et inutile d’imaginer en quémander un autre; ma grand-mère est intraitable. Ma dévotion à l’ursidé contribuera très largement à la consommation des plus de quarante quatre tonnes de Petit Ourson® fabriquées depuis son invention (et je dois bien admettre que je ne suis pas pour rien aux 3 500 tonnes boulottées cette année, même si j’ai moins à courir pour les attraper, mais ceci est une autre histoire).
Copié par des ersatz de marques scélérates et sans goût, bien indifférentes à l’entretien des lapins et des poules et strictement tournées vers leurs médiocres profits financiers, le Petit Ourson® rentrera dans sa grotte surannée, s’inscrivant au trop long palmarès des espèces menacées par la folie humaine. Comme son cousin l’ours polaire, il fait l’objet d’une attention des seuls vieux cons surannés désormais trop chétifs eux aussi pour faire entendre leur voix.
Pourtant si les modernes les écoutaient ils leurs diraient combien nounours fut important, comment il fit fuir les méchants de sous les lits des enfants. Ils leurs diraient les chagrins épanchés dans sa fourrure si douce et les goûters réussis grâce à son cœur de guimauve si tendre. Mais qui écoute encore ces élucubrations ?