[far Zoːn] (code rout. AUTO.)
Si vis pacem para bellum. Dans une France surannée nimbée de locutions latines et traumatisée par la der des der, on s’affaire et on para bellum. Tous azimuts on maginote¹, on renforce, on fortifie, on se prépare à se colleter avec ce nouvel ennemi héréditaire qu’on a et qui vient remplacer des angliches avec qui on se met sur le groin depuis plus de six cents ans et dont on connaît désormais toutes les perfidies.
En 1936, donc, dans le secret feutré d’un comité Théodule ou de quelque administration en charge de produire des directives et notes diverses, on décide que dorénavant les véhicules immatriculés en France possèderont des phares jaunes.
L’idée d’alors n’est pas de souligner l’excellence de la production automobile nationale (Delage D8-120, Renault Nerva Grand Sport, Peugeot Type 184 par exemple) et son design qui laissera songeurs, bien des années plus tard, tous les acquéreurs de Bx ou autre Twingo (mais ceci est une autre histoire), mais bel et bien de se préparer à distinguer une voiture ennemie d’une voiture amie. Phares jaunes voiture amie, phares blancs voiture ennemie.
Phares jaunes : laissez passer. Phares blancs : feu à volonté
L’idée est simple, convenons-en, mais aussi d’une grande efficacité (si l’on excepte la possibilité que possèderait l’ennemi à changer les ampoules de ses camions transportant les hordes de féroces soldants mugissant qui ne rêvent que de venir jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes).
Phares jaunes : laissez passer. Phares blancs : feu à volonté. Du binaire comme on l’aime.
Le concept sera quelque peu mis à mal par le régime de Vichy qui décidera de mettre ses phares jaunes au service de la barbarie, rendant complexe la distinction des voitures collaboratrices et des voitures résistantes (à tel point que les FFI se verront contraints de peinturlurer en gros ces trois lettres sur leurs tractions pour éviter de tomber sous la mitraille libératrice).
Après-guerre, l’urgence n’étant pas vraiment au choix de la couleur des phares, on laisse couler l’affaire et comme les sachants doivent savoir, voilà que les décennies suivantes voient fleurir les thèses sur les bénéfices des phares jaunes vs. les terribles phares blancs.
À grand renfort d’études scientifiques les phares jaunes l’emportent haut l’ampoule : moins éblouissants, super vachement mieux par temps de brouillard, valorisant au teint, les phares jaunes cocoricotent cette exception française sur les routes d’Espagne, d’Italie ou d’ailleurs, pendant les grandes vacances. On se fait un petit appel de phares (jaunes) quand on se croise du côté de Malaga, de Rome, de Madrid, parce que ça fait du bien de croiser des Français au milieu de ces milliers de phares blancs qui sont un évident manque de savoir-vivre et de savoir-conduire.
En arrière-plan des soirées diapos, les phares jaunes diffusent leur lumière tamisée qui ne manquera pas de donner à l’image des années surannées cette tonalité unique qu’il nous faut désormais retrouver à grand usage de filtres usurpateurs.
Le 1er janvier 1993, une nouvelle étude sur les études précédentes démontre que les phares blancs sont à la bonne vision nocturne ce que le labrador est à l’aveugle : une sécurité irremplaçable, un ami fidèle, un indispensable. Les phares jaunes s’en vont en surannéité.
Désormais l’article R313-2 du Code de la route stipule que « Sauf dispositions différentes prévues au présent article, tout véhicule à moteur doit être muni à l’avant de deux ou de quatre feux de route émettant vers l’avant une lumière jaune ou blanche permettant d’éclairer efficacement la route la nuit, par temps clair, sur une distance minimale de 100 mètres ». Et son compère R313-3 que « Sauf dispositions différentes prévues au présent article, tout véhicule à moteur doit être muni à l’avant de deux feux de croisement, émettant vers l’avant une lumière jaune ou blanche permettant d’éclairer efficacement la route la nuit, par temps clair, sur une distance minimale de 30 mètres sans éblouir les autres conducteurs ».
Le dernier bastion de la ligne Maginot vient de tomber.