[pjɛʁ dy nɔʁ] (gr. n. MYST.)
Aujourd’hui très cher lecteur, très chère lectrice, tu seras un peu explorateur, exploratrice. Chausse tes desert boots et mets ton écharpe (en lin), tu pars en terre ésotérique et surannée à la poursuite de la Pierre du Nord.
Pour qui a vécu en surannéité, l’existence de la Pierre du Nord et de ses innombrables qualités ne pose aucune question. Elle est aussi réelle et vertueuse que le furent à l’époque les informations exclusives d’Infos du Monde ou encore les affirmations politiques du prosélyte Georges Marchais et de son inénarrable complice syndicaliste Henri Krasucki, c’est vous dire.
Mère de toutes les vertus guérisseuses, la Pierre du Nord apporte protection et confort à ses heureux possesseurs en ces années surannées dont on mesure à l’instant l’abyssale naïveté. Parce qu’elle le jure sur deux pages en couleur en plein centre du journal (Détective, Nous Deux, Jour de France, etc.), parce que de nombreux témoignages¹ de Madame M. de Camu-en-Bouchonois ou de Monsieur A. de Pitibon-sur-Sôadre l’appuient fermement, parce que des études américaines récentes le prouvent, la Pierre du Nord guérit de toutes les maladies, éloignent les mauvais augures, aide dans la carrière professionnelle. Eh oui mon ami ébahi, si c’est dans le journal c’est que c’est vrai (aujourd’hui tu crois bien, toi, ce que te raconte Google…).
Il faut dire que témoignages, démonstrations et preuves scientifiques s’accumulent pour montrer son pouvoir. Des guérisons à la pelle à côté desquelles la fontaine miraculeuse de Lourdes ressemble à un tour de magie de Garcimore, des gains au Loto si prolifiques que la multiplication des pains du Nazaréen passe pour un exercice d’entrainement, des réussites en amour qui font de Dom Juan un dragueur de supermarché, tout y est ! Cette Pierre du Nord sait vraiment bien y faire.
J’ai cinq ou six ans. J’ai vu dans le tiroir de table de nuit de mon arrière-grand-mère une Pierre qui pourrait bien venir de ce Nord là. Je l’ai aperçue quand elle l’ouvre pour me donner un bonbon le soir, quand elle va se coucher et que je monte lui dire bonsoir. J’aime bien aller faire un bisou à ma mémé. Elle me raconte l’arrivée à Paris et le bruit des roues cerclées des carrioles sur les pavés, elle me parle de cette rue du Ve où elle a habité sans imaginer une seconde que j’y habiterai moi aussi quelque quatre-vingts ans plus tard, elle me confesse pleurer encore son frère tombé sur le Chemin des Dames, elle me dit sa campagne sans eau ni électricité et le puits au fin fond du jardin, elle passe vite sur la guerre et sur ces gens de passage qu’elle abrite au sous-sol, et moi je me demande si elle avait déjà sa Pierre du Nord pour survivre à tout ça.
Et si ces témoignages avaient raison ? Et si finalement, le journal disait vrai ?
Mon arrière-grand-mère a vécu 105 ans. Je vais me commander une Pierre du Nord.