[pês a sykr] (ustens. tabl. SUCR.)
Au cœur du service de table à la française il est une hiérarchie entre les quatre couverts (couteau, fourchette, cuillère à soupe et cuiller à café), les verres et les assiettes, et la myriade des autres ustensiles : de la base à l’accessoire.
C’est dans cette troisième catégorie un peu fourre-tout qui comprend casse-noix et couteau à beurre par exemple, qu’il nous faudra fouiller pour dénicher l’un des éléments les plus surannés de la ménagère en métal argenté, cadeau obligé des jeunes mariés sans trousseau : la pince à sucre.
Dotée au choix de deux branches terminées en patte de griffon ou de trois crochets à effet pince de crabe, la pince à sucre se sort jamais du buffet de mamie sans sa complice citerne sucrière contenant sucres blancs cubiques et sucres de canne à la forme aléatoire. Pour avoir le privilège de s’en servir il faut prendre un café ou un thé, boisson qui n’est pas accordée au marmot dont il semble acquis qu’il-est-déjà-largement-assez-énervé-comme-ça-va-jouer-dehors-tu-nous-fatigues, à la fin du repas dominical.
C’est bien entendu un problème pour tout général en chef des Playmobil®, tout bâtisseur en Lego® et évidemment pour tout ingénieur expert du Petit Chimiste. Car au-delà des sucres qu’elle transvasera cérémonieusement du sucrier à la tasse, la pince à sucre peut s’avérer arme redoutable saisissant les ennemis, griffe bionique de bras articulé de robot métallique, ou plus simplement outil de sécurité pour la manipulation d’un mélange corrosif ne demandant qu’à être renversé pour trouer la moquette.
L’utilisation de la pince à sucre à ces fins non protocolaires et nettement moins prétentieuses que sa destination conventionnelle, doit faire l’objet d’une âpre négociation (chacun conservant dans une mémoire tatillonne le malheureux incident qui bloqua le ressort de la précédente lors de la bataille décisive des Indiens contre les Cosmonautes Playmobil®). Quand elle aboutit favorablement c’est l’assurance d’un dimanche réussi et peut-être, d’une découverte qui fera progresser la recherche¹.
La pince à sucre deviendra surannée quand mamie, probablement fatiguée, cessera les invitations à déjeuner. Une date qui correspond approximativement à celle de l’abandon des ambitions d’une carrière militaire, d’ingénieur en biomécanique ou de spécialiste de la fission nucléaire.
Dans ces années modernes où la sucrette ignoble dans son écrin plastique a remplacé le sucrier, la pince à sucre est sans utilité. Et puis le djeuns’ n’ira même pas la réclamer : il est heureux s’il accède au Wifi, pas à la pince à sucre.