[plym sɛʁʒɑ̃tmaʒɔːʁ ] (MARQ. DEP.)
Si tu écris à la main tu es suranné.
Si tu écris à la main avec une plume tu es très suranné.
Si tu écris à la main avec une plume Sergent-Major tu es au top du suranné.
Plume de métal utilisée à la communale pour l’apprentissage douloureux des pleins et des déliés, la plume Sergent-Major exhale un parfum très IIIᵉ République d’école publique gratuite et obligatoire, de hussards noirs et de laïcisme. Propriété exclusive des Établissements Gilbert et Blanzy-Poure Réunis fondés en 1856, la plume Sergent-Major est indissociable du porte-plume dans lequel elle se glisse grâce à son talon. Et c’est lui, le porte-plume, qui marque les différences entre les élèves : le manche de bois est le plus commun, celui de métal est si lourd qu’il semble destiné aux adultes, et quel bruit lorsqu’il chute, l’ivoire est réservé aux manches de prestige, et le plastique fait son apparition avec la modernité qu’un Baron transformera bientôt en stylographe à bille, mais nous y reviendrons.
La plume Sergent-Major est si fragile (elle s’émousse rapidement) qu’elle est vendue en boîtes de vingt ou de cinquante exemplaires. Une encre de couleur violette qu’on dit de Chine (mais vient-elle réellement de cette contrée lointaine ?) l’accompagne immanquablement, lui conférant sa réelle utilité cursive. Une fois les deux réunies, c’est parti pour l’aventure. On appuie on relâche pour jouer les épaisseurs du trait, on se sert du jour pour encrer plus ou moins, on suit les lignes, on goutte et on tâche, on éponge au buvard et on salit sa blouse car l’encre n’était pas sèche.
La plume Sergent-Major a fait plier sous son joug des centaines, des milliers d’écoliers et aucun ne semble pour autant lui en vouloir grandement. C’est qu’ils sont tous désormais surannés et que le crissement du métal sur le papier vélin ou le vergé leur manque un petit peu. Car aujourd’hui on n’écrit plus, Madame, on tripote le clavier ou l’écran, et mieux encore on textote prédictif avec un correcteur d’orthographe qui changera mais un peu bite un v en b. C’est le progrès.