[plymé lwa sâ la fèr krijé] (gr. verb. ELEVAG.)
Jean-Baptiste Colbert, ce coquin de Jean-Baptiste Colbert devrais-je écrire, ministre de Louis XIV et contrôleur général des finances pendant plus de vingt ans. S’il est un homme qui s’y connait en matière d’interventionnisme économique, de collecte des impôts, de marchandisation de tout, de droits de douane, de protectionnisme et de commerce international, c’est bien lui.
Il est pour ainsi dire l’inventeur de l’impôt, de la taxe, de la contribution spéciale ou générale, de la patente, de la charge. Et tous les grands argentiers qui lui succédèrent n’eurent de cesse d’imiter cette propension à taxer dont il avait fait un art pour, comme disait le bon maître, plumer l’oie sans la faire crier.
Depuis la fâcheuse mésaventure du Capitole, on sait lorsque l’on est Gaulois que l’oie est un volatile dont il faut se méfier. La bougresse a tôt fait de cacarder à peine se sent-elle menacée (une certaine paranoïa doit l’habiter, peut-être croit-elle qu’on en veut à son foie) et ainsi mettre à mal toute tentative de la plumer menue.
Plumer l’oie sans la faire crier est une expression qui nous dit bien toute la difficulté de l’entreprise en question. Dans la bouche de ce percepteur à perruque empoudré¹ qu’est le gestionnaire des finances du Roi-Soleil, elle nous fait aussi part de tout le cynisme du bonhomme. C’est qu’il va falloir en plumer de l’oie cendrée, de l’oie rieuse, de l’oie naine, de l’oie des moissons, de l’oie à bec court, de l’oie à tête barrée et de l’oie cygnoïde pour se payer les noubas de Versailles. Au château on mène grand train et ça en coûte des livres la fiesta. Alors Colbert pluma l’oie sans la faire crier, ou presque, car le bon peuple peut-être un peu trop déplumé alla jusqu’à tenter de profaner sa sépulture lors de son enterrement.
Si la pratique taxatrice n’a pas démérité en termes d’inventivité depuis toutes ces années², l’expression s’est gentiment délitée. Plumer l’oie sans la faire crier n’est plus de mise pour un État moderne, respectueux de ses contribuables, qui ne les prend donc pas pour des anatidés, pas plus que des pigeons ou des moutons.
De l’oie ne nous reste aujourd’hui que la patte dont nous sortira le moderne GPS, pas même le foie qui n’a plus rien de gras tant elle s’est fait plumer sans jamais crier gare.