[avwar ê pòliSinèl dâ le tirwar] (syn. gross. COMMED.)
L‘imagerie surannée est parfois usitée à des fins de codification, tous les publics, et notamment ceux dotés des plus jeunes oreilles, n’ayant pas entière légitimité à accéder à l’information en ces temps ante-wikipédesques où l’enfant ne prend la parole que quand on la lui donne.
C’est donc bien pour éthériser une annonce qui flirte avec l’inavouable (précisément pour avoir trop flirté auparavant et dans des conditions elles aussi inavouables) que la langue va chercher dans la lointaine commedia dell’arte (le théâtre populaire italien du XVIᵉ siècle avec ses acteurs masqués, pas la pizzeria du centre commercial !) Pulcinella, marionnette bouffonne et grotesque.
Avoir un Polichinelle dans le tiroir procède directement d’une référence à ce Pulcinella qui lui-même va chercher ses racines dans pulcino, le poussin (nous nous permettons de traduire pour ceux qui ne maîtrisent pas parfaitement la chantante langue de Dante).
Avoir un Polichinelle dans le tiroir n’est pas cacher un poussin dans le tiroir d’une commode comme on pourrait le faire avec un brochet pour marquer son ennui, mais bel et bien faire part, parce qu’on ne peut plus cachotter, de l’arrivée prochaine d’un heureux événement comme on le dit alors, plus pour s’en convaincre soi-même que pour les autres. Eh oui, quand la grossesse a un parfum de turpitudes elle fait appel à la commedia.
L’expression est donc réservée à celle qui a mené une vie de patachon et qui a fait un bébé toute seule.
On comprendra aisément l’impérieuse nécessité de l’allégorie comédienne à la fois naïve et rusée, à une époque où il est déjà très compliqué d’expliquer comment on fait les bébés, alors de là à s’étendre sur le sujet quand il s’agit de cette cousine-si-jolie-qu’on-aime-bien-parce-qu’avec-elle-on-rigole-toujours…
Elle a un Polichinelle dans le tiroir et on aura un petit cousin de plus. Point.
Dans le théâtre de marionnettes français qui s’inspire très largement des saltimbanques masqués italiens, Polichinelle possède une voix aiguë, un nez crochu et se retrouve ventripotent et bossu, un peu comme si la bonne morale avait souhaité le punir d’avoir été conçu hors des sentiers battus. Et comme si ces attributs ne suffisaient pas à sa disgrâce, Chantal Goya le chantera en 2004, terminant l’insidieux travail de mise au ban d’une société qui ne l’appréciait guère.
Avoir un Polichinelle dans le tiroir commença à s’éclipser quand la grossesse devint un marché à part entière sur lequel se ruèrent tous les marchands du Temple vendeurs de solutions techniques aux angoisses parentales préalablement créées. Vêtements spécifiques, lits pliants en deux temps trois mouvements, matelas anti-allergique-à-tout, poussettes de compétition, couches connectées, biberons pour aller dans l’espace, ne pouvaient s’accommoder de l’opprobre sous-jacente à avoir un Polichinelle dans le tiroir, surtout dans un pays au taux de natalité record.
Sachant qu’ils génèrent quatre mille cinq cent soixante euros de dépense la première année de leur naissance, les deux mille deux cents Polichinelle sortant chaque jour de leur tiroir en France ne pouvaient être traités comme de vulgaires Guignols tout de même !