[pòlir lasfalt] (loc. pédest. BTP.)
Il nous faut bien admettre qu’avec ce Chinois dont il était affublé depuis la nuit des temps¹, le verbe polir en a bavé des ronds de chapeau pour se refaire une place dans la langue de tous les jours.
On ne quitte pas d’un claquement de doigt des siècles d’allusion onaniste.
Il a donc fallu que de l’eau coule sous le pont Mirabeau pour que le synonyme d’agacer le sous-préfet se fasse un peu oublier et que polir l’asphalte puisse enfin exister.
Connu sous sa forme naturelle (ἀσφάλτῳ θερμῇ) depuis l’Antiquité puisqu’il scella les briques des murs de Babylone, l’asphalte est devenu avec le Progrès un mélange de bitume et de granulats utilisé pour les trottoirs de Paris à partir de 1820. C’est donc juste après que polir l’asphalte prend le sens de se balader sur les grands boulevards, activité préférée des bourgeois et du populo en ce début de XIXᵉ siècle.
« — En voiture Simone on va polir l’asphalte »
Sur un peu plus de quatre kilomètres, entre Madeleine et République, on flâne, on baguenaude, on se soulage dans les vespasiennes, on fait flanelle, on déjeune dans un bouge où l’on a son rond de serviette, autant d’activités contribuant à faire de polir l’asphalte un condensé de la vie de Paname.
« — En voiture Simone on va polir l’asphalte » qui s’entend de plus en plus vers 1900 quand le mélange recouvre alors aussi les routes², n’a donc jamais été une incitation à la débauche comme l’ont prétendu les incultes et tenants de l’ordre moral refusant que la langue évolue et délaisse le vieux Chinois des débuts.
Traînasser dans la ville pour en humer l’humeur va cependant devenir une activité honteuse à l’entrée en contemporanéité, entraînant la disparition de polir l’asphalte.
Le moderne qui abhorre glander (mais ne rechigne pas à parader, un paradoxe qui est cependant une autre histoire) file à toute berzingue sur sa trottinette propulsée à l’énergie électrique afin de pouvoir consacrer toute la sienne à optimiser la rentabilité de ses moindres mouvements.
Il n’a que faire de jacter comme son arrière-grand-père et de polir l’asphalte.
Pourtant c’est sur le boulevard des Italiens que son ancêtre croisa son arrière-grand-mère et la séduisit grâce à son bagout désormais désuet, assurant une descendance dont il a bien du mal à se montrer le digne héritier côté faconde.