[pòrté dé Sosèt rys] (loc. verb. CCCP)
Avant de trouver chaussure à son pied – ce qui s’avère à la fois complexe et une toute autre histoire – mieux vaut pour l’homme avoir réglé la question primordiale de la couleur de ses chaussettes.
Du rigoureux noir ou gris au nostalgique motif Burlington, du rouge vespéral de chez Gammarelli au blanc strié bleu-rouge siglé du Coq Sportif, faute de goût immense en dehors du court, un monde d’explorations possibles tout autant qu’hasardeuses louera les téméraires ou punira les turlupins.
Il se pourrait alors que les uns et les autres, ne souhaitant pas commettre d’impairs dans le choix de leur paire, décident de porter des chaussettes russes. Ne cherchez pas le fil d’Écosse, le lin, le cachemire, le poil de chameau ou la soie, porter des chaussettes russes est à la portée de chacun. Porter des chaussettes russes c’est tout simplement être nu pieds dans ses mocassins à glands, ses sneakers¹ ou ses Richelieu.
Si l’on met de côté l’évidente douleur causée par le frottement du soulier sur la plante fragile des petons masculins (mais après tout contribuer à la tâche paramédicale des pédicures-podologues est une forme de responsabilité économique), porter des chaussettes russes est un affront caractérisé aux règles de l’hygiène élémentaire. En dehors de Serge Gainsbourg et de ses Richelieu Zizi en chèvre blanc de la maison Repetto, deux symboles hautement surannés, il est formellement interdit de tenter l’aventure des arpions dénudés sous peine de sentir l’escafignon.
Porter des chaussettes russes nous vient probablement de l’équipement spartiate de l’Armée Rouge et d’un morceau de coton blanc de quarante sur quatre-vingt centimètres qui enrobait les pieds de ses soldats, du général ployant sous ses breloques clinquantes au troufion défendant Stalingrad. Dans la Rabotche-krestianskaïa Krasnaïa armia (Рабоче-крестьянская Красная армия), on n’était pas très chaussettes, que voulez-vous que nous y fassions ?
Sans que cette tradition vestimentaire n’ait de conséquences sur l’interprétation martiale de Plaine, ma plaine (Полюшко-поле) ou Kalinka par les chœurs de l’Armée Rouge, elle entama tout de même le crédit du conducteur de char soviétique qui, rappelons-le, ne rêvait que de nous envahir tout au long des années surannées. On n’ose imaginer l’odeur régnant à bord d’un belliqueux T-64 avec un pilote, un tireur et un chef d’engin portant des chaussettes russes…
Le port moderne de la sandale avec chaussette de tennis condamna définitivement porter des chaussettes russes à demeurer au suranné. Il n’est pas certain que ni l’hygiène ni le bon goût y gagnèrent quelque chose, mais depuis 2008, même les Forces armées de la Fédération de Russie portent des chaussettes classiques, alors à quoi bon s’acharner.
¹Pour les trop surannés, les sneakers c’est comme les baskets mais en langage moderne.
🎼Полюшко-поле, полюшко, широко поле🎶
Eдут по полю герои🎶
🎶Эх, да красной армии герои