[pozé ûn- urs] (loc. verb. BAVA.)
Sauf à vouloir tout connaître de la vie du cousin-de-la-belle-sœur-du-facteur-marié-avec-la-sœur-du-garagiste-qui-a-réparé-la-voiture-du-plombier-oh-c’était-trois-fois-rien-juste-une-durite-à-changer-etc., il est toujours ennuyeux de se retrouver coincé dans une conversation jacassière.
La langue surannée, jamais en retard pour gloser, a fabriqué une étrange – parce qu’animale en apparence – expression pour désigner la diatribe du bavard pénible : poser un ours.
Exemple : « — Il nous pose un ours celui-ci avec son histoire de [insérer ici le sujet qui vous convient] ».
Poser un ours est valable en tout circonstance d’ennui profond consécutif à logorrhée subie, y compris si celle-ci ne fait aucune mention de Nounours, Baloo ou Winnie. Car l’ours posé en question n’est pas vraiment un grizzly.
Selon tout vraisemblance, la bestiole de l’expression doit sa présence à l’œuvre littéraire non publiée parce que jugée imparfaite, au brouillon, qu’on dit aussi ours quand on fait plus dans l’écrit que dans l’éthologique. Poser un ours est donc un autre faux ami de cette famille « des animaux posés » à laquelle appartient aussi le lapin.
Notons que, que ce soit l’ursidé pour l’ennui ou le léporidé pour l’attente, aucun n’est réellement déposé aux pieds de la victime longanime. Trop compliqué à mettre en œuvre vu la taille du moindre plantigrade adulte, trop incertain vu l’incapacité à rester en place du premier Jeannot venu. Le verbe poser est utilisé dans son acception de se débarrasser, ce qui n’aide pas le chercheur dans sa quête de compréhension : si ce n’est d’un trop-plein d’informations brouillonnes dans le cas de poser un ours, que pourrait-il être posé devant l’interlocuteur accablé ?
Malgré ce flou entourant les circonstances de sa création, poser un ours trouvera son public, les phraseurs prolixes, les dictateurs discoureurs et les commères loquaces ne manquant jamais à l’appel et à leur devoir assommant : parler, parler et parler encore.
Le long discours d’ouverture des XXIIes Jeux Olympiques d’été (Moscou) prononcé par Léonid Brejnev (Леони́д Ильи́ч Бре́жнев) posera le dernier ours de l’ère surannée, le 19 juillet 1980. Misha, mascotte souriante de l’événement sera celui-là.
Pour protester contre l’invasion de l’Afghanistan par les troupes de l’URSS, deux mesures vont être prises par plus de soixante nations : empêcher les athlètes en short d’en découdre sur le tartan en boycottant les Jeux pour les unes, éviter l’utilisation de poser un ours pour ne pas valoriser le plantigrade soviétique porteur de flamme pour les autres (cf. fig. A.)¹.
Symbole s’il en est, la France, la Belgique, la Suisse et le Luxembourg, pays jusqu’alors très utilisateurs de l’expression, ne participeront pas à la cérémonie d’ouverture en signe de protestation. Un acte fort.
En francophonie on ne plaisante pas avec la géopolitique pas plus qu’avec la langue, cette dernière dût-elle en pâtir et envoyer en surannéité l’un de ses fleurons.