[pwèt pwèt kamâbèr] (onomat. CLAQ.)
Avant que Charles Cagniard de Latour ne mette au point en 1819 la sirène qui porte son nom, l’avertisseur sonore en forme de poire équipait toutes les automobiles qui faisaient résonner son signal synonyme de danger pour des piétons distraits encore habitués au clop clop des chevaux.
Pouêt pouêt 🎶, onomatopée traditionnelle traduisant en deux temps similaires l’acoustique d’alors (elle deviendra tût tût une bonne centaine d’années plus tard et connaîtra même une forme créative dite « du Tour de France » s’avérant en fait reprendre les premières notes de la Cucaracha¹) commença en ces temps sa carrière dans la langue.
C’est vers la moitié du XIXe siècle qu’elle rencontre par hasard une spécialité fromagère normande pour créer avec elle pouêt pouêt camembert.
Forme condensée de pouêt pouêt ferme ta boîte à camembert tu l’ouvriras pour le dessert, pouêt pouêt camembert reprend l’idée d’un signal impérieux adressé à un quidam qui cette fois ferait mieux de ne pas ouvrir sa bouche sous peine d’en faire sortir des âneries et de se retrouver sanctionné.
Pouêt pouêt camembert est en effet de forme très fortement incitative (au silence en l’occurence).
Pouêt pouêt camembert est née de l’observation du geste tâteur de l’amateur de pâte molle à croûte fleurie qui vérifie traditionnellement d’une pression du pouce si le formage est à son goût – le mouvement approchant celui destiné à faire geindre la poire susmentionnée – et peut-être d’un constat sur la teneur olfactive de la bouche à faire taire, celle-ci s’approchant des effluves du doux et crémeux².
De la cour de récré de l’école communale au plus guindé des conseils d’administration de la Compagnie universelle du canal maritime de Suez, on se toise et s’intime l’ordre de ne pas la ramener avec pouêt pouêt camembert : partout, dans ces temps surannés, les grandes bouches se ferment quand klaxonne le claquosse. Ferdinand de Lesseps lui-même s’en sert régulièrement quand on s’avise de lui parler du scandale de Panama, mais ceci est une autre histoire.
Et bien souvent pouêt pouêt camembert s’accompagne d’un pincement du pouce et des quatre autres doigts qui n’est pas sans rappeler l’action sur le formage ou la poire de la trompette de la Torpedo (cf. fig. A).
L’idée saugrenue du découpage en portions de trente grammes emballées et vendues à l’unité de l’AOC Camembert de Normandie ou de ses ersatz que l’on doit vraisemblablement à de brillants stratèges de la segmentation de marchés, mettra en péril l’usage de pouêt pouêt camembert.
Pouêt pouêt la portion de camembert est en effet sans commune mesure avec l’expression originale qui va lentement tomber en surannéité.
La fusion de Suez et Gaz de France en 2008 entérine définitivement sa disparition : lors de son premier conseil d’administration aucun membre ne l’utilise.