[pusé mémé dâ léz- òrti] (expr. EXAG.)
Nulle violence par ici. Vous le savez, le suranné regarde ses ancêtres avec respect et dévotion, même quand il les met en scène et leur fait faire des galipettes.
Comme on le dit au générique cinématographique : « aucune personne âgée n’a été blessée pendant la rédaction de cette chronique ».
Vous pouvez donc la lire avec sérénité.
Traiter du paroxysme n’est pas aisé car la démarche demande d’établir une échelle, et selon que l’on parlera des élucubrations d’une starlette téléréaliste, des exactions barbares des fous de Dieu, des propos déplacés d’un sous-chef de bureau avec stylographe quatre couleurs à la poche, on ne pourra utiliser les mêmes critères de notation. Bien heureusement le langage passé qui y avait pensé, avait créé une borne très simple à énoncer qui, si elle était franchie, exprimait le basculement dans l’outrance quelle qu’elle fût : pousser Mémé dans les orties.
Selon les usages en vigueur, quiconque par ses propos, son attitude, un acte, un soupir, aura poussé Mémé dans les orties, se sera de fait positionné hors-jeu. La plupart du temps c’est d’ailleurs avec une négation réprobatrice qu’on usera de l’expression. Il est convenu de dire qu’il ne faut pas pousser Mémé dans les orties pour refuser de franchir un cap qui ne sera en aucun cas celui de la bonne espérance. Pis encore, c’est bien celui du non retour, de l’inacceptable qui est passé avec ce poussage dans le dos d’une aïeule fragile à qui l’on devrait plutôt servir de bâton de vieillesse.
Vous l’aurez cependant comme moi constaté, dans la modernité le respect n’est guère dû aux plus vieux. L’ancêtre est devenu agaçant avec son écoute défaillante et sa lenteur de déplacement, et c’est un désavantage flagrant dans une époque où il faut parler haut et aller toujours vite. Alors qu’il s’écarte donc du chemin ce limaçon ! Et paf, on pousse Mémé dans les orties.
Mais, vous interrogez-vous bien légitimement, que faisaient par ici ces orties urticantes ? Cette ortie à pilules ou cette ortie romaine, cette ortie membraneuse ou cette ortie brûlante ? Avec leur acide formique, histamine, acétylcholine et sérotonine qui irritent la peau ne devraient-elles, elles aussi, être éradiquées pour dégager nos modernes chemins ?
Que nenni mes amis ! Gardez-vous de détruire les Urticaceae car voyez-vous, elles ont certaines vertus que justement Mémé connaît.
Pour commencer Mémé sait accommoder les orties au repas, que ce soit en salade ou en soupe. J’en ai goûté : c’est bon (ma Mémé savait les cuisiner). Ensuite Mémé est une experte de leur pouvoir guérisseur. Avec son cataplasme d’orties à l’argile verte, elle n’aura tout au long de sa vie ni arthrite ni rhumatismes. Et elle pourra même effacer les bubons d’adolescents acnéiques si elle fabrique sa lotion magique.
Ne serait-ce que pour ça, il ne faut pas pousser Mémé dans les orties. Il y a des milliers d’autres raisons, mais vous les connaissez. Jeunes amis prenez soin de Mémé car lorsqu’elle n’est plus là ça fait un sacré vide. Et laissez-lui une place assise dans le bus.