[premjé mutardjé dy pap] (tit. honor. AMOR.)
Goldorak, Albator, Maya l’abeille, Candy (une blondinette aux grands yeux qui insidieusement déterminera la destinée amoureuse de plus d’un enfant d’alors, mais ceci est une autre histoire), Yoda, les Aristochats, Astérix, Tintin, Ulysse 31, inspecteur Gadget, Popeye, Titi et Grosminet, Babar, le grand Schtroumph, et tant d’autres encore…
Tous eurent un jour l’honneur suprême de figurer sur un verre à moutarde, véritable chef d’œuvre de la maison Amora dont les multiples productions finirent par créer de bigarrés ensembles entraînant de nombreux conflits fraternels : « Celui qui a Goldorak c’est le plus fort, celui qui a Candy c’est un neuneu », par exemple.
Une telle consécration moutardière aurait pu faire tourner plus d’une tête, et l’on pourrait penser créée pour l’occasion l’expression se prendre pour le premier moutardier du pape. Il n’en est rien. Aucune de ces figures du panthéon dessiné ne prit jamais le melon.
Ce fut en revanche le cas d’un obscur neveu de Jacques Duèze, Cadurcien plus connu sous son titre professionnel de pape Jean XXII, qui se crut arrivé aux côté de Saint Pierre une fois nommé premier moutardier du pape. Servant avec zèle le goût du cent quatre-vingt quatorzième pape pour le condiment qui fera la renommée de Dijon, le pompeusement et officiellement titré premier moutardier du pape laissera comme trace dans l’histoire ce synonyme de fatuité qu’on retrouvera bien des siècles plus tard dans l’attitude du responsable de la photocopieuse du troisième étage.
Bien qu’aucune enluminure ne puisse témoigner de l’importance accordée à la charge de premier moutardier du pape, la rumeur colportée depuis 1316 lui prête faste et grande pompe, au point de faire de l’ombre au moindre prélat de service responsable de croisade ou d’évangélisation.
Le premier moutardier du pape ne durera pas au Saint-Siège plus longtemps que le règne de Jean XXII, mais il perdurera dans la langue tout au long des années surannées pour désigner n’importe quel sbire gonflé de l’importance de sa titraille.
Ce n’est qu’à l’orée d’une modernité adorant hiérarchiser à grands coups d’employé du mois, de conseiller spécial et d’expert ès-qualité que le premier moutardier du pape sera envoyé au suranné pour cause de mauvais esprit (et manquer d’esprit sain est un comble dans ce cas).
Ne restera de son apparat papal que quelques décalcomanies sur verre à boire qui pourront en justifier l’usage; parce que franchement, quand à table j’ai celui avec Goldorak, je me sens un peu comme le premier moutardier du pape.