[prâdre le kafé dy povr] (loc. verb. CAF.)
Commander un café et l’addition, s’envoyer son petit noir au zinc sur le pouce, et même faire couler un ersatz noirâtre dans un gobelet de plastique craché par une machine de station service d’autoroute, semblent des gestes anodins pour tout moderne avec trois sous en poches.
S’ils savaient ces prodigues qu’en des temps un peu plus surannés, la denrée torréfiée était si rare que la langue avait du créer prendre le café du pauvre pour tout de même satisfaire ceux qui n’avaient plus un kopeck (mais sous une forme que ne laisse pas supposer la formule).
C’est que le cahouah arrivé sur nos terres en provenance de la lointaine et mystérieuse Abyssinie vers 1600 n’a pas toujours coulé à flots des machines sous pression. Pire, des périodes de disette pour cause de conflit mondial l’ont rangé dans la catégorie des produits luxueux, concédant aux moins riches la luxure en guise de satisfaction¹.
Un café et l’addition
Prendre le café du pauvre est le résultat de ces soubresauts et d’une pénurie en matière de grains. Quand le puissant qui a l’oseille pourra se prendre un café tout court, le loqueteux sans radis se prendra le café du pauvre; autrement dit s’offrira ce qu’il trouvera de gratuit pour mieux digérer : une partie de jambes en l’air.
La bagatelle c’est bien aussi mais ça ne vaut pas un café, semble dire l’expression prendre le café du pauvre, soulignant au passage l’addiction au breuvage puisque tous, riches et pauvres, veulent en boire. De sieste crapuleuse en cinq à sept olé-olé (encore qu’il ne soit pas conseillé de boire un café après cinq heures de l’après-midi), prendre le café du pauvre va s’imposer comme synonyme des hommages présentés à madame.
Notons que l’ami Ricoré jouera un rôle trouble pendant toutes ces années sans café, tentant visiblement d’abuser de la situation en débarquant avec son pain et ses croissants et avec sa chicorée, histoire de proposer de prendre le café du pauvre aux femmes au foyer (mais ceci est une autre histoire).
Malgré la persistance de la pauvreté en France (14% de la population), prendre le café du pauvre va tranquillement filer en surannéité.
Les uns prétendent que c’est sous la pression d’une multinationale suisse promouvant le café à grand renfort d’interrogation métaphysiques² portées par des vedettes américaines, les autres arguent que c’est à cause de la récupération mercantile du tirelipimpon sur le chihuahua sous forme de café-pipe tarifé (en Suisse aussi…).
Dans les deux cas prendre le café du pauvre est mauvais pour l’image et donc pour les affaires, ce qui procure une excellente raison pour le chasser très loin d’ici.
Business is business. What else ?
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