[prâdre pari pur kòrbèj] (loc. géo. 91100.)
La langue surannée est parfois moqueuse, parfois coquine, parfois virile, mais jamais snob. Ce n’est pas son défaut aussi ne faudra-t-il pas lire avec des yeux modernes cette expression qui pourrait faire débat si elle était encore utilisée en nos jours start-upés.
Car admettez bien que vous le fîtes. Mais bien sûr que vous le fîtes. Puisque de Corbeil vous ne trimballez rien d’autre qu’une sombre vision de grands ensembles hostiles (il faut dire que les Tarterêts ne bénéficient pas du taux de Bisounours au mètre carré le plus élevé de France), vous vous dîtes que prendre Paris pour Corbeil ne peut être que la traduction de cette méprise de la capitale pour la lointaine banlieue.
Sachez que dans ce cas vous prendriez Paris pour Corbeil, précisément, ou feriez une grave erreur si vous préférez.
C’est la bataille pour Corbeil, en novembre 1562, qui donnera naissance à prendre Paris pour Corbeil, moquant l’erreur militaire des huguenots prosélytes échouant face aux troupes de Jacques d’Albon de Saint André défendant ses remparts, et tentant néanmoins de s’attaquer à Paris dans la foulée (où ils feront chou blanc jusqu’à ce que « Paris vaille bien une messe » quelques années plus tard, mais ceci est une autre histoire).
Il faut dire qu’en ce XVIᵉ siècle des guerres de religions on assaille à tout-va dans le royaume de France, prenant et reprenant des villes après en avoir occis la population du mauvais côté du goupillon; alors après Lyon, Rouen et Pithiviers, pourquoi pas Corbeil et puis Paris.
Prendre Paris pour Corbeil c’est donc faire boulette sur boulette avec l’idée que celle qui suit sera plus grosse que la précédente. Comme en 1562.
Le 9 août 1951 les deux communes de Corbeil et Essonnes fusionnent pour donner Corbeil-Essonnes. Prendre Paris pour Corbeil, pourtant vieille de quatre cents ans, devient instantanément surannée. Pithiviers essayera un moment de récupérer tout le bénéfice de l’expression en diffusant prendre Paris pour Pithiviers, mais le coup de force échouera et Pithiviers demeurera un gâteau en pâte feuilletée sec comme les couilles à Taupin.
Surgira prendre le RER D de Paris pour Corbeil dès la création du Réseau Express Régional en 1987, annihilant cette fois toute possibilité de retour des limbes surannés de prendre Paris pour Corbeil.
L’étourderie navrante et entêtée, le plantage magistral, le fourvoiement droit dans le mur ne trouveront plus de synonyme, laissant Corbeil-Essonnes à son sort moderne de ville à snober.
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