[prâdr ê vatlavé] (loc. verb. HYG.)
Une querelle régionale et néanmoins sise aux antipodes oppose parfois les tenants de cette expression surannée que voici. Les uns la tiennent pour néo-calédonienne, les autres l’affirment locale du paisible bocage où paissent les vaches que nous chantaient Stone et Charden.Ayant traîné mes guêtres dans chacune de ces contrées éloignées, et en tant que Président ad vitam æternam du Club des vieux cons surannés, je suis en mesure de confirmer officiellement que prendre un va-te-laver s’entend de chaque côté du globe. Voici qui devrait mettre fin à la bisbille.
Sur le fond il n’y aura pas de dissension : que ce soit à Sainte-Mère-Eglise, à Hienghène, à Bayeux ou à Lifou, quand tu prends un va-te-laver tu te fais souffleter (surtout au figuré). Prend un va-te-laver celui qui se fait envoyer sur les roses, prend une soufflante, se fait envoyer voir chez les Grecs, à la pèche, foutre, se rhabiller, se faire empapaouter, j’en passe et des meilleures.
Il est étonnant de constater combien la langue la plus verte a voyagé et fait le tour du globe tout en conservant son sens premier. Que ce soit à Paris ou à Nouméa, quand tu prends un va-te-laver tu rentres dans tes pénates la queue entre les jambes.
L’usage de l’expression laisse à penser que le fautif réprimandé n’est pas dans des dispositions d’hygiène corporelle communes et qu’il gagnerait à traiter cette question avant toute autre. La doctrine hygiéniste mise en place par les Louis Pasteur, Georges Eugène Haussmann, Eugène Poubelle et confrères au XIXᵉ siècle est là, éclatante de splendeur, arrogante de triomphe. Toutes ces théories politiques et sociales appliquant les règles de préservation de l’hygiène et de prévention de la santé publique sont allées jusqu’à imprégner le langage (ce qui est en l’état une contamination et donc un joyeux paradoxe).
A mesure qu’elles s’appliquaient dans les foyers d’ici, éduquant peu à peu les foules crottées, les paysans fangeux, les gueules noires pouacres, les ouvriers maculés et les cols blancs tachés, elles repoussaient un peu plus loin l’usage de prendre un va-te-laver, jusque là-bas très loin où les hommes se vêtaient de banian ou de bourao et se purgeaient à l’eau de mer.
A force de se laver et de ne plus prendre un va-te-laver, l’homme devint moderne et se trouva fragile, système immunitaire perturbé, face au moindre microbe qui passait par là. En plus de sa langue il y perdit sa bonne santé et disparut ignorant mais très propre.
Vive les gros dégueulasses et les vieux cons surannés, ils survivront.