[prâdre la vwatyr nyméro ôz] (loc. verb. SNCF)
Puisque vous êtes désormais sensibilisés aux grands enjeux écologiques de la planète, vous savez que l’automobile est une vile pollueuse de nos villes et vous avez décidé d’utiliser le métro, le vélo ou bien la marche à pied pour vos trajets du quotidien. C’est bien.
Mais saviez vous que ce faisant vous n’alliez pas totalement quitter l’univers des transports ? Eh oui mes amis, j’ai le plaisir de vous annoncer que vous allez prendre la voiture numéro 11.
L’imagerie surannée nourrie à l’argot populo des XIXᵉ siècle et arrondissement nous a donné quelques perles dont celle-ci est à classer parmi les plus belles. Prenant appui sur ses deux jambes le quidam qui déambule ressemble à un 11 selon l’observation de nos aînés des bas quartiers, et qui leur donnerait tort : deux tiges font bien deux 1.
Mais les malins ne se contentaient pas de constater avant de libeller. Conscients que leur état piéton risquait de perdurer et que la Delahaye ou la De Dion Bouton n’allaient pas s’arrêter de sitôt devant la porte de leur meublé pas plus qu’ils ne monteraient le lendemain à bord de l’Orient-Express direction Venise ou Constantinople, ils se jouaient de leur destin en se montrant ironiques.
Et ils créèrent prendre la voiture numéro 11 pour désigner leurs pérégrinations pédestres, quitte à marcher autant le faire avec panache.
Prendre la voiture numéro 11 a fait long feu avec le taylorisme et le crédit à 17,29% rendant possible l’accession à la 2Cv ou la 4L, et le maillage ferroviaire de nos belles provinces, quant à lui, a permis d’aller rendre visite à toute vieille tante du fin fond du pays (certes en 3ᵉ classe mais c’est déjà ça). En cessant d’utiliser nos jambes comme le progrès les déclassait, nous envoyâmes par le fond l’impertinente et créative prendre la voiture numéro 11. Un gâchis mes amis, un gâchis.
À force de ne plus prendre la voiture numéro 11 mais de prendre la voiture pour faire 100 mètres, la France pourrait compter 20% de patates de canapé en 2020 dans sa population, ce qui est une bonne nouvelle pour les vendeurs de canapés et une mauvaise pour le tableau des médailles olympiques.
Pire encore, la langue et les idées en souffriront ! L’école péripatéticienne fondée par Aristote en -335 (ça c’est du suranné) nous démontra combien déambuler est vertueux pour la thèse et l’antithèse.
Prendre la voiture numéro 11 c’est aussi affiner un paradigme ou démontrer un théorème, ça vous en bouche un coin n’est-ce pas ?