[remètre le faktër syr le vélo] (loc. adv. P&T)
Qu’il soit X ou Cheval, ou plus classiquement représentant des P&T, le facteur est l’un de ces êtres en uniformes qui font le prestige de la chose publique et la fierté de l’Administration à la française. Cocorico !
Ce colporteur des bonnes et moins bonnes nouvelles, a su depuis 1477 et la création des relais de poste par Louis XI, tisser avec la nation reconnaissante un lien indéfectible de confiance et de proximité¹.
Il méritait en cela que le langage lui rende hommage, et comme il ne sait le faire autrement il a créé une expression : remettre le facteur sur le vélo.
Remettre le facteur sur le vélo est une quantification de quoi que ce soit qui ne saurait se mesurer dans l’une des unités convenues que sont les mètres et centimètres, les litres, les volts, les watts, les kilogrammes, les ampères, les kelvins, les newtons, les celsius, les teslas, les becquerels, les hertz, etc. Remettre le facteur sur le vélo détermine un point maximal sur une échelle de truc. Exemple : un alcool qui remet le facteur sur le vélo est un alcool qui dépassera les 90°.
C’est vraisemblablement au degré atteint par certaines boissons proposées au préposé dans les campagnes françaises où sévissaient de sympathiques mais dangereux bouilleurs de cru² que l’on doit l’étymologie de la locution. Tout éreinté qu’il put être après des kilomètres parcourus sur son vélo (oui le facteur était alors le roi de la petite reine), l’absorption de quelques centilitres du breuvage maison le remettait sur son vélo, au sens propre du terme. N’y lisez aucune remontrance sur la capacité dudit facteur à s’enivrer, rien ne pouvait l’arrêter dans sa noble mission, vous le savez puisque vous reçûtes toujours à temps et vos impôts et le calendrier avec les petits chats dans des paniers (mais ceci est une autre histoire).
Ainsi, depuis 1832, date de la tournée quotidienne dans les campagnes, jusqu’à l’ère pré-moderne, chaque jour de petits coups de jaja de derrière les fagots remirent le facteur sur le vélo. Par extension, la mesure de remise du facteur sur le vélo s’appliqua à tout réconfort viril qui pouvait, au choix, achever ou motiver.
Le Compatible Time-Sharing System (CTSS) de l’Institut de Technologies du Massachusetts (MIT) créa en 1965 une faille dont personne dans les hautes sphères de l’administration des P&T ne mesura le risque. Trente ans plus tard, héritiers modernistes du fameux CTSS, les clients de messagerie à protocole POP Lotus Note et Outlook Express transformèrent la missive papier en courriel (pour courrier-électronique) ou e-mail si vous préférez, et firent définitivement chuter le facteur de vélo.
Victime de l’un des plus sévères burn-out de l’industrie du service public, le pauvre homme s’enferma dans le déni et dans l’aigreur, barricadé derrière un guichet à hygiaphone, créant pour le plaisir d’interminables files d’attente qui lui permettaient de voir encore du monde, comme au bon vieux temps de sa tournée.
Même la vente en fin d’année des fameux calendriers avec les petits chats dans des paniers ne put remettre le facteur sur son vélo : l’Internet scélérat avait scellé son sort.