[le rwa nè pa sô kuzê] (loc. LOUIS XIV.)
C‘est sous le règne ensoleillé de Louis XIV que la France a travaillé son mythe qui permet aujourd’hui encore au plus moyen de ses concitoyens en survêtement et sandalettes-chaussettes de passer aux yeux du reste du monde pour un raffiné, un romantique, un élégant ou un galant.
Diplomate et guerrier, mécène, grand bâtisseur, stratège politique, le Roi-Soleil fut l’archétype du monarque absolu. Est-ce en son hommage ou craignant son courroux qu’une bonne expression surannée glissa très légèrement vers 1690, apogée de son règne ? Je ne suis pas loin de l’affirmer.
Jusqu’alors on disait de quelqu’un au bonheur béat que le Roi n’était pas son ami, signifiant que le bougre n’avait nul besoin d’une compagnie supposée parmi les plus prestigieuses pour être plus heureux. Mais en cette année qui achemine tranquillement sa décennie vers la fin du siècle s’impose le Roi n’est pas son cousin, marquant cette fois l’inutilité d’un lien familial qui pourtant pouvait engendrer quelques facilités dans la gestion d’affaires courantes telles que la possession d’un royaume, la perception de la gabelle ou même le droit de cuissage.
Pourquoi diantre passer d’une amitié à un cousinage dans l’échelle de la satisfaction ?
La vie et l’œuvre de François de Bourbon-Vendôme, duc de Beaufort dit « le Roi des Halles », à propos duquel Michelet écrivait qu’il possédait une facilité brillante pour le galimatias, une éloquence grotesque, et qu’il ne lui manquait rien pour charmer une sotte, ne nous éclaireront pas. Le Roi était son cousin.
Rien non plus du côté de Charles II et Jacques II, tous deux rois d’Angleterre, et cousins eux aussi de Louis XIV. Et que dire de Léopold Ier de Habsbourg, roi de Hongrie, et roi de Bohême, de Balthazar-Charles d’Autriche, de Philippe Prosper d’Autriche, de Ferdinand IV de Habsbourg, de François-Hyacinthe de Savoie, d’Henry Stuart, duc de Gloucester, de Charles III de Guise-Lorraine, de Juan José d’Autriche, comte d’Oñate, de Jean-Gaston d’Orléans, bref d’une palanquée de types dont le Roi était bel et bien le cousin. Étaient-ils tous de tristes sires ?
Ils auraient bien dû se méfier ces puissants de naissance car la dérive sémantique annonçait la fin des haricots. Le Roi n’est pas son cousin disait dans le langage commun du superfétatoire, du superflu, de l’accessoire devenu inutile. Dans un siècle on chanterait que ah ça irait ça irait, les aristocrates à la lanterne, ah ça irait ça irait, les aristocrates on allait les pendre. En cent ans le Roi n’est pas son cousin avait fait le lit de la révolte populaire et condamné à l’échafaud tous ceux de la famille.
Le Roi n’est pas son cousin est aussi surannée que le pouvoir de droit divin. Elle n’a cependant pas trouvé d’équivalent démocratique ni même dictatorial. Le président n’est pas son cousin n’a jamais vu le jour, pas plus que Kim-Jong Un n’est pas son cousin. Nous ne nous en plaindrons point.
La quête du nirvana étant désormais remplacée par celle de la célébrité, même de la plus quelconque, je propose aux modernes en recherche de bonheur médiatique de disposer d’une expression sur mesure adaptable à l’envi : [insérer ici le nom d’une star de la télé-réalité] n’est pas son cousin. Ça ce n’est pas du suranné !
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