[ʁɔmanfɔto] (gr. n. LITT.)
Il fut un temps (suranné évidemment) où l’art narratif majeur, je veux dire populaire, était celui d’une forme mêlant avec bonheur la force d’un écrit juste et pointu et l’esthétique en noir&blanc de la scène posée : le roman-photo.
Qu’on le trouve dans Nous-Deux (« L’hebdomadaire qui porte bonheur ») ou dans l’une de ses pâles imitations à l’eau de rose plus diluée, le roman-photo était l’immanquable rendez-vous des aventures surjouées d’un bellâtre brushingué à l’air de gendre idéal et d’une kyrielle de donzelles habillées en Courrèges qui furent probablement à l’origine de ma fascination éhontée et obsessionnelle pour les hôtesses de l’air et leur port gracieux de l’uniforme; je ne vois pas d’autre explication. Car oui, je l’admets ici devant vous, je lisais en cachette les quelques pages imprimées à la gloire de leurs aventures dès que je pouvais les croiser chez ma grand-mère ou ailleurs et m’éveillais ainsi au difficile art de comprendre les femmes¹.
Là, au fil des cases, Jean-Pierre (eh oui les prénoms aussi étaient bien surannés) séduisait tour à tour Martine, Brigitte, Sylvie et Véronique², les enlevant dans son Alfa-Romeo rouge pour les conduire à Deauville, bravant la mort à plus de 100 km/h, leur faisant tourner la tête avec ses chemises col pelle-à-tarte, et se parfumant certainement au Brut 33 de Fabergé. Et il s’employait tant ce pauvre Jean-Pierre (on ne disait pas JP c’est so 80’s) avec cette cour de prétendantes se pâmant à la moindre occasion qu’on finissait par le plaindre. Quel homme ce Jean-Pierre, toujours prêt à rendre service ! Et poli avec ça, comme disait ma grand-mère…
Né dans l’Italie de l’après-guerre le genre photographico-romanesque n’a pas su se renouveler autrement qu’en prenant du degré comme un bon vieil alcool de contrebande. Du premier (le seul, le vrai, l’authentique, le Nous-Deux) il est passé au deuxième puis au troisième degré, faisant de mercantiles et commerciaux détours par la publicité qui sans vergogne récupère tout, par la pédagogie pour publics fragiles qui trouve en lui une panacée explicative et par l’humour à clin d’œil résolument ringard qu’on croise de nos jours dans les médias à la page, cryptés en général. Mais ce faisant, le roman-photo comme art littéraire s’est patiné comme un bon suranné et ses ersatz ont vivoté selon la mode de l’instant, eux qui imaginaient le remplacer.
Je n’ai plus entendu parler de Jean-Pierre depuis un bail. Il parait qu’il a terminé sa vie dans une villa sous le soleil de Saint-Tropez. Je crois que son Alfa a rouillé et pourri dans une casse de la Nationale 7. Sylvie est toujours aussi belle. Je la croise de temps à autre chez Monop’.
L’autre jour elle m’a fait un sourire : je crois bien qu’elle m’a reconnu. Il faut dire que j’étais son lecteur favori.