[rulé lé mékanik] (loc. frim. DISC.)
Si l’étalage ostentatoire de ses qualités supposées (et bien souvent largement surestimées) remonte à la préhistoire où, déjà, celui qui avait le plus de poils et grognait plus que les autres passait pour un cador, on peut dire que la frime a connu elle aussi un essor particulier lors de la révolution industrielle.
D’artisanale, l’esbroufe est en effet passée à un stade nettement plus expressif qui s’est trouvé exprimé dans rouler les mécaniques.
Ah, ah, ah, ah, stayin’ alive, stayin’ alive🎶
Ah, ah, ah, ah, stayin’ aliiiiive
Lorsque la vapeur et les machines mues par des roues à denture hélicoïdale ont bouté hors de la production le geste du compagnon, la langue a saisi l’imposture fabricante pour faire de rouler les mécaniques un des lazzi destinés au crâneur.
Comparant le déhanchement surjoué du hâbleur et le ridicule port altier du poseur à l’inutile complexité d’un engrenage lubrifié tentant de reproduire sans talent le geste d’un artisan, rouler les mécaniques souligne la vacuité de celui qui tente d’impressionner en agissant ainsi. Le gauche s’imagine grandiose, le savant est surtout un pédant, le solennel n’a rien d’un barbacole quand on dit de lui qu’il roule les mécaniques.
Taylorisation et stakhanovisme se tirant la bourre pour montrer à l’autre qui a la plus grosse production de blé, d’acier ou de n’importe quel produit manufacturé, rouler les mécaniques connaîtra un succès sans précédent dans l’histoire du langage, trouvant en 1977 dans les chorégraphies cinématographiées de samedis soirs enfiévrés la quintessence de sa raison d’être.
Tony le gominé donnera tout ce qu’il a pour séduire Stephanie sur la piste du disco Club 2001¹ tandis que les Bee Gees montent dans les aigus à grand renfort de ah, ah, ah, ah, tout ça dans l’objectif de rester vivant ou de stayin’ alive comme on dit du côté de Brooklyn (mais ceci est une autre histoire).
La chute brutale de son piédestal de John Travolta incarnant ce flambard de Tony aura pour conséquence de faire de rouler les mécaniques une expression désuète.
Bedonnant et incapable de se dandiner avec grâce, il grippera à lui seul la belle mécanique matamoresque qui avait tenu près d’un siècle. Les temps modernes qui ne font pas dans la mécanique mais dans le numérique jetteront le tout dans l’oubli².
Étrangement, on ne dit pas pour autant de l’olibrius contemporain qu’il roule les numériques.