[rulé syr lé ɡravjé] (loc. sécurit. rout. APÉRO.)
Quiconque s’est un jour aventuré sur une route de gravillons sait qu’elle sera instable voire dangereuse pour l’automobiliste.
Et les années surannées qui n’ont pas encore eu le temps de voir les services territoriaux des Ponts et Chaussées s’occuper de leurs voies regorgent par milliers de ces kilomètres risqués.
Il ne devrait donc pas y avoir anguille sous roche lorsqu’untel se désole de rouler sur les graviers. Pourtant, pourtant…
Qui ne maîtrise pas la langue surannée y lira en effet une complainte sécurito-routière plutôt qu’une demande pressante à renouveler le contenu de verres apéritifs vides : ce qu’elle est en réalité ! Faux ami que son annonce à voix haute. « Marcel, on roule sur les graviers » est destiné à déplorer un assèchement, pas à attirer l’attention d’un conducteur sur l’état de la route.
Marcel, on roule sur les graviers
Rouler sur les graviers a selon toute vraisemblance été construite par des hommes durs au mal, de ceux qui se brûlent la couenne au soleil ou se la gercent par grand froid pour déployer le ruban bitumé qui mène vers l’horizon ces poètes qui dès l’aube, à l’heure où blanchit la campagne, partent; des travailleurs qui ont donc besoin de s’humecter le gosier pour se motiver à tasser le macadam.
Pour ces forçats de la route (version construction) sans apéro pas de boulot. Et sans leur boulot, c’est fâcheux pour l’auto : elle roulera sur les graviers.
Le raisonnement ainsi posé, l’expression s’impose.
Elle précède le remplissage illico presto du même breuvage que celui éclusé précédemment, déclenché quant à lui par un rhabiller le gamin à ne pas prendre au pied de la lettre lui non plus.
Pour rouler sur les graviers, le programme national de réaménagement des départementales¹ est une voie royale : elle se diffuse de relai routier en estaminet de quartier, de voie en réfection en bretelle de contournement; à chaque instant où Jean Lefebvre travaille pour vous² il contribue aussi à la gloire du langage suranné.
En moins de temps qu’il n’en faut à un rond-point pour s’installer à l’entrée d’un village, rouler sur les graviers est de tous les patelins.
La décision du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 1996 diluant le schéma routier directeur de la France dans le réseau transeuropéen de transport (RTE) et ses arcanes administratives, rendra l’expression rouler sur les graviers rapidement surannée.
Elle était impossible à traduire en quinze langues.
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