[ʁupi də sɑ̃sɔnɛ] (unit. mes. IND.)
Nos anciens mesuraient tout. Une étrange et douce folie sans doute mais ils avaient le souci de peser, de quantifier, de compter, d’évaluer. C’est pourquoi l’époque surannée regorge d’unités plus ou moins farfelues à nos yeux modernes et incrédules mais bien utiles et efficaces en leur temps. Ainsi en est-il de la roupie de sansonnet.Monnaie coloniale de la belle Indochine et des comptoirs Indiens, la roupie porte en elle un parfum exaltant d’exotisme, de moiteur, de mousson, de palmiers. La roupie nous emmène négocier des balles de coton à Pondichéry (புதுச்சேரி), elle nous plonge au cœur du triangle d’or Birman trafiquer quelques menues tonnes d’opium, elle nous offre un cocktail sophistiqué sur une plage des Seychelles ou Maurice. Certes, mais dans aucun de ces cas elle n’est de sansonnet.
Alors faudrait-il aller la chercher du côté figuré, cette roupie qui peut donc aussi être une goutte qui ruisselle sur un mur ? Et si l’on pousse un peu une goutte qui pend au nez de l’enrhumé. Elle se précise ainsi notre roupie de sansonnet : une simple goutte au nez, une rhinite bête et méchante, une mesure d’insignifiance, une moins que rien. C’est en tout cas ce que nous disent les sachants du langage lisant dans sansonnet une condensation de « sans son nez ».
J’ai comme un doute.
Depuis quand cette disgracieuse morve pendouillante serait-elle négligeable ? Si la roupie de sansonnet est l’étalon du savoir-vivre alors elle signifie que la chose coûte très cher et non l’inverse ! Et n’essayez même pas de la faire disparaître d’un revers nonchalant ou d’un reniflement, le remède serait pire que le mal ! Ou alors ces savants sont de gros dégueulasses.
Je préfère sansonnet rappelant « sans le sou » et gardant ainsi à la roupie sa valeur monétaire. Je sais bien que l’on trouve trace de la roupie de sansonnet dans notre langue du XIIIe siècle (le bon siècle suranné) et qu’à cette époque Šer Šāh Sūrī, padishah de l’Inde et instigateur de la première roupie n’était pas encore né mais s’il faut désormais tenir compte de quelques vérités historiques nous ne sommes pas sortis de l’auberge !
Sachez pour être fin prêts que sansonnet est aussi un oiseau, un étourneau. Nous voilà bien avec des piécettes venues des colonies, la goutte au nez et un passereau au long bec pointu. Il est bon que parfois le suranné conserve tout son mystère et sa gouaille. Que la roupie de sansonnet demeure donc un secret et continue à nous dire qu’elle n’a d’autre désir que celui d’être presque inutile. C’est déjà beaucoup.
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