[ne pa ètre la ry dé mòrijô] (loc. néga. PERD.)
S‘il peut paraître évident qu’un individu ne peut s’avérer être de son vivant une rue¹ ou toute autre forme viaire, le langage des temps désormais désuets a cru bon de bidouiller une expression à base d’auxiliaire et de voie carrossable du XVe arrondissement parisien.
Paisible en apparence tout au long de ses huit cent soixante mètres que croisent la rue Olivier-de-Serres, la villa Robert-Lindet, la rue Jobbé-Duval, la rue de Dantzig, la place Jacques-Marette, la rue Brancion, la rue de Villafranca, la rue Santos-Dumont, la rue de Chambéry, la rue de Cherbourg, la rue Rosenwald, la rue du Lieuvin, la rue Labrouste et la rue Castagnary, la rue des Morillons abrite en son 36 un service très particulier qui va constituer ne pas être la rue des Morillons comme locution envoyant promener les quémandeurs en tous genres et plus particulièrement les têtes en l’air.
Je ne suis pas la rue des Morillons !
Créé par le préfet Lépine (celui-là même du concours qui est cependant une autre histoire), le service des objets trouvés sis numéro 36 rue des Morillons depuis 1939 est en effet censé répondre à tous les étourdis du parapluie, à tous les oublieux de baise-en-ville, à tous les égareurs de quoi que ce soit espérant qu’une honnête personne aura déposé le fruit de leur inadvertance en cet antre de la propriété perdue².
Comme c’est à cette adresse qu’il faut réclamer le paradis perdu ou la tête égarée, c’est bien logiquement que ne pas être la rue des Morillons deviendra la meilleure repartie à lancer à quiconque sollicite l’impossible et tire la manche en insistant lourdement.
Je ne suis pas la rue des Morillons remportera même le prix de la réponse fourre-tout en 1968 quand étudiants, OS de Billancourt, paysans et autres demanderont l’impossible, la paix, le beurre et la crémière à des autorités dépassées par l’ampleur des questions.
De quoi l’installer confortablement dans le langage courant d’alors puisque, déjà, affleure cette tendance pré-moderne à l’égarement des clefs de voiture, à la disparition des deuxièmes chaussettes, à l’éclipse de la télécommande du téléviseur (notamment à partir de 1981).
Comme la majorité des objets trouvés déposés à son adresse, ne pas être la rue des Morillons s’effacera des mémoires, les temps modernes avançant.
L’obsolescence y est désormais programmée et la disparition de l’objet n’est plus jamais un drame : il sera remplacé par un plus neuf, un plus beau, un plus deux point zéro.
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