[safyté le siflè] (loc. boiss. PREM.)
Quand elle a le cœur joyeux, la langue surannée plaisante avec le corps en se servant de ses parties pour fabriquer une souriante litote (cf. avec la bite et le couteau) ou une fâcheuse hyperbole (cf. se la tailler en biseau), joueuse qu’elle est.
Si elle donne souvent dans le dessous du ceinturon (cf. princeps) elle sait aussi à l’occasion faire monter le niveau jusqu’à celui du gosier, étant entendu qu’il ne s’agit que d’une hauteur de fait et non de vue dans le cas de s’affûter le sifflet puisque l’expression n’est qu’une de plus dans le registre de la godaille.
Elle y tient cependant une place de choix : la première.
S’affûter le sifflet introduit en effet la notion de premier verre à boire que suivront beaucoup d’autres. L’ivrognerie n’est donc pas encore là quand on s’affûte le sifflet mais il est certain qu’elle ne tardera pas.
Tout comme l’appétit s’aiguise avant de passer à table avec des mises en bouche, la pépie s’affûte avec un Ricmuche, un Perniflard ou une fine avant de se lancer dans l’arrosage plus sérieux façon Grand cru. S’affûter le sifflet est un quasi synonyme de prendre l’apéritif ou de s’en jeter un vite fait derrière la cravate (ce dernier n’évoquant pas obligatoirement une continuité dans l’arsouillage).
L’existence même de l’expression souligne combien l’absorption de boissons alcoolisées ne se fait pas à la légère : l’échauffement de la glotte est impératif pour éviter fausse route ou tout autre incident. Trop d’impétueux ont contrevenu à l’article L. 3341-1 du Code de la santé publique pour avoir omis de s’affûter le sifflet.
C’est la culture française en matière de vins et spiritueux qui a permis l’émergence de s’affûter le sifflet, cette locution n’existant pas dans d’autres langues qui passent directement du sobre à l’éthylique. Une culture qui va cependant vaciller sous les coups de boutoir d’un anglais importé d’outre-Manche ou made in USA, portés par des chansons, des films et des slogans imprimés sur tricots de peau.
My tailor is rich, I love New York et autres Singin’ in the rain vont pousser s’affûter le sifflet en surannéité et faire le lit du vulgaire binge drinking, périlleux exercice de chaos alcoolique exprès adoré du moderne¹. En moins de temps qu’il ne faut à un yéyé pour reprendre une chanson états-unienne, l’anglicisme impose sa loi de l’efficacité et sa sonorité exotique.
Et la cuite devient triste (mais ceci est une autre histoire).