[samyzé a la mutard] (loc. tard. PROCRAS.)
L a remise à un temps futur des choses qu’il faudrait absolument faire dans l’instant ne date pas des Modernes.Il est probable que l’homme glandouille depuis la nuit des temps¹ et préfère passer son temps à des âneries plutôt qu’au fond de la mine à pousser des wagonnets. C’est même là l’une des caractéristiques majeures qui le différencie des autre animaux.
Dans les premiers temps du langage françois structuré, pour rendre compte de son retard systématique sur les missives à envoyer, gabelle et dîme à régler, on dit donc du paroissien qu’il moult tarde (ou tarde beaucoup).
Il n’en fallait pas plus au petit peuple de la rue qui n’aime rien tant que le calembour bien torché pour faire de ce moult tarde de la moutarde et créer dans la foulée s’amuser à la moutarde pour celui qui penche plus vers les plaisirs du quotidien (l’amusement) et n’hésite pas à remettre à demain ce que n’importe quel proverbe sérieux lui enjoindrait de faire aujourd’hui.
L’expression s’amuser à la moutarde connaît une période d’expansion unique de 673 à 751, bien servie qu’elle est par les rois fainéants (successivement Thierry III, Clovis III, Childebert III, Dagobert II, Chilpéric II, Thierry IV et Childéric III), plus portés sur les agapes que sur la réforme du pays.
Moult tarder, ou s’amuser à la moutarde, est alors la meilleure façon de régner.
Même si le nettement plus redoutable pour la prononciation – et conséquemment emphatique – procrastiner (du latin procrastinatio) est signalé dès 1520, c’est s’amuser à la moutarde qui va dominer l’expression du temps laissé à tous les plaisirs préférablement au boulot pendant des centaines d’années, jusqu’à un cocasse événement qui va remettre en cause son usage.
En 2014, un secrétaire d’État chargé du Commerce extérieur, de la Promotion du tourisme et des Français de l’étranger, qui s’était un peu trop amusé à la moutarde et avait omis de déclarer ses revenus sur quatre années conformément à l’usage en vigueur pour tout administré, est condamné par la justice française peu encline à admettre la phobie administrative comme une raison valable au report de ces démarches.Dès lors, plus aucune possibilité de remettre à plus tard le remplissage de sa feuille d’impôts, le paiement de ses loyers ou de ses amendes, l’acquittement de ses factures d’eau. S’amuser à la moutarde est bannie du langage en même temps que l’éphémère ministre l’est du gouvernement et de la vie politique.
L’époque moderne n’est plus aux peu pressés, aux glandouilleurs, aux laisse-on-débarrassera-tout-ça-demain de fin de soirée arrosée. L’époque n’est plus à l’amusement à la moutarde.