[sâtòS] (n. pr. PRIS.)
On est mieux ici qu’en face. Délicatement peints sur l’enseigne du café qui proclame ainsi sa victoire géographique sur le bâtiment qui le toise, ces mots furent pendant des dizaines d’années surannées les premiers d’une liberté retrouvée que lisaient les bougres ayant payé leur dette à la société¹.
On est mieux ici qu’en face : le message à le mérite d’être limpide et nul n’a jamais trouvé à y redire.
On est mieux ici qu’en face parce qu’en face, c’est la Santoche. Et quiconque y aura séjourné vous confirmera qu’on est mieux ici qu’en face.
Surtout quand ici on peut s’en jeter un petit dans le col alors qu’en face on aurait plutôt tendance à vous le découper, le col, avant de vous guillotiner (non sans vous avoir autorisé auparavant à vous en jeter un derrière la cravate, la justice est joueuse).
Finir en deux morceaux, à l’angle de la rue de la Santé et du boulevard Arago en lisant, allongé sous l’abbaye de monte-à-regret, cette maxime épitaphe pied de nez à l’arrogance de la Santoche, était le dernier petit plaisir des condamnés à mort exécutés publiquement en ces temps surannés. Une raison largement suffisante pour que l’administration ainsi humiliée décide, en 1939, que désormais la faucheuse officierait à l’intérieur de la Santoche. Les frères Marcel et Paul Vocoret furent ainsi les premiers à inaugurer la cour de la Santoche comme lieu d’exercice de la béquillarde; on était vraiment mieux ici qu’en face…
Construite au milieu du XIXᵉ siècle, sur les vestiges d’un établissement dédié à la santé publique voulu par Anne d’Autriche, la Santoche est donc cet établissement pénitentiaire situé au cœur du familial XIVᵉ arrondissement qui accueillit le tout Paris de la grande truanderie, de la petite arnaque, du trafic en tous genres, petites frappes et gros parrains. À la Santoche on croisât Apollinaire, Jacques Mesrine (qui ne put s’empêcher de s’en évader tant on était mieux ailleurs), Bernard Tapie, Albert Spaggiari, quelques chanteurs de rap, quelques chefs d’entreprises aujourd’hui adulés, bref du monde et du beau.
Même si on est mieux ici qu’en face, la Santoche fait parfois figure de place to be tant elle est fréquentée par les puissants de ce monde. Pour un peu elle ferait chic dans les lignes d’un curriculum vitæ. Ne vous précipitez pas cependant vers le lieu de justice le plus proche pour y avouer vos méfaits : la Santoche est fermée pour quelques années encore. Elle refait ses peintures et ses sanitaires pour tenter de répondre à cet effronté établissement licencié IV qui la nargue avec son on est mieux ici qu’en face.