[lə savɔ̃ ʒon pʁɔvɑ̃di] (gr. n. HYG. MARQ. CIALE.)
Né dans les années 50, sur les rives du lac Léman, le Laboratoire Provendi est devenu célèbre grâce à une idée toute simple : disposer d’un savon toujours sec, à portée de main. Porte savon mural et savon rotatif ont ainsi équipé des milliers de collectivités et d’entreprises.
Voilà, il vous fallait un petit coup de réclame pour vous recaler les idées. C’est bon, tu l’as ? Mais si, le savon jaune Provendi, le savon en forme de ballon de rugby sur son présentoir en laiton chromé fixé au-dessus du lavabo de l’école élémentaire ! Ah, ça y est, tu vois quand tu veux. Tu vois que c’est suranné.
Il faut dire qu’il a dû en laver des mains ce savon jaune Provendi. Des mains boueuses d’avoir bidouillé dans la terre, des mains de toutes les couleurs d’avoir peint des chefs-d’œuvre, des mains sales d’avoir fouillé dans les poubelles, des mains souillées d’avoir trituré un pigeon mort dans la cour de l’école, des mains moites d’avoir joué à chat pendant des heures, des mains encrées d’avoir écrit des lignes à la plume Sergent-Major, des mains punies d’avoir réinventé la catapulte à Petits Suisses, des mains d’enfants quoi.
En vieillissant le savon jaune Provendi se craquelait de partout et se rabougrissait en une couleur nettement moins jaune citron autour de sa tige de laiton. On faisait « beurk » quand il fallait alors quand même l’utiliser. On s’y frottait les uns après les autres, chacun y allant de sa patte technique, sous l’œil scrutateur d’un adulte certainement corrompu pour nous asservir ainsi à ce rite païen. Le savon jaune Provendi était toujours froid, ne moussait pas, et si on était doué on parvenait à lui faire faire un drôle de bruit en le tournant sur son axe. Le griffer pour faire passer du savon sous les ongles était presque impossible, le bougre savait contrer toutes nos manœuvres. Le savon jaune Provendi c’était les premières corvées hygiénistes alors qu’on avait quand même autre chose à faire comme une partie de bille ou une marelle, une balle au prisonnier ou un concours de lancer de crotte de dromadaire¹.
Et souvenez-vous, on s’y cognait la tête violemment après s’être désaltéré au robinet ! Il était toujours mal placé, vissé à la va-comme-j’-te-pousse par un factotum imprécis que les contraintes normalisantes de la maison AFNOR ou d’une Europe bureaucratique vigilante n’avaient pas encore étouffé. Je suis certain que le savon jaune Provendi a plus de bosses à son actif que le plus belliqueux des boxeurs.
On se cogne désormais beaucoup moins sur les distributeurs plastiques de liquides savamment parfumés exotiques tels des sorbets gelés. C’est plus sûr. Mais l’école a dû changer de goût sans colle Cléopâtre et sans savon jaune Provendi.
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