Se graisser la patte [sø gʁese la pat]

Fig. A. Amis se graissant la patte.

[sø gʁese la pat] (CORRUPT. MARCH. PUBLIC.)

Parmi les nombreuses expressions françaises qui évoquent les rouages invisibles du pouvoir, se graisser la patte occupe une place de choix. Elle résume en une image aussi parlante que collante ce petit coup de pouce bien huilé qui permet à certains d’avancer plus vite que d’autres.

On ne parle évidemment pas ici d’hydratation cutanée ni d’un besoin urgent de passer chez l’esthéticienne. Se graisser la patte c’est s’en mettre plein les fouilles, arrondir ses fins de mois d’une manière pas très catholique même si c’est fait avec la banque Ambrosiano, profiter d’un arrangement bien senti entre « amis ». L’expression sent bon la magouille en plus du graillon.

Elle prend racine dans les transactions officieuses où une poignée de main pouvait cacher bien plus que l’expression de sentiments distingués. À l’époque où les négociations se faisaient encore en aparté sous les lustres à pampilles, où l’on glissait discrètement une enveloppe bien garnie dans la main d’un puissant, se graisser la patte était presque un art.

Le gras c’est la vie

Le gras, dans son sens figuré, symbolise ici l’excès, la richesse qui dégouline, voire l’opulence qu’on ne veut pas déclarer aux impôts. En clair, se graisser la patte, c’est s’enrichir dans l’ombre, avec ce petit supplément de roublardise qui fait toute la différence entre un honnête citoyen et un habile margoulin.

Et ne nous y trompons pas : ce n’est pas toujours celui qui reçoit qui se salit les mains. Parfois, c’est celui qui donne qui est entend lubrifier un rouage un peu trop rouillé, qui souhaite débloquer une situation qui traîne, ou s’assurer que son dossier arrive en haut de la pile.

Dans les temps surannés, tout le monde peut se graisser la patte. Un petit billet pour s’assurer une place au premier rang. Une bouteille de Romanée Conti livrée avec les compliments de la maison pour s’attirer quelques bonnes grâces. Et puis, bien entendu, il y a l’arène politique où les poignées de main valent de l’or, et où le graissage de patte devient un art d’État. Celui qui ne sait pas se graisser la patte correctement peut vite se retrouver en bas de l’échelle, tandis que l’expert du genre finit député-maire¹ avec des projets immobiliers plein les cartons.

Aujourd’hui se graisser la patte a un petit goût de scandale, alors le moderne lui préfère des euphémismes.

On ne parle plus de pot-de-vin, mais de favoritisme involontaire, de mécanismes incitatifs, ou de comité d’experts indépendants. L’enveloppe discrète a laissé place à des honoraires de conseil, et la magouille d’antan se cache derrière des contrats en béton.

Le geste est moins gras mais l’esprit n’a pas changé. Sa patte est plus leste, plus difficile à attraper. Mais ça sent toujours le beurre… rance (et c’est toujours la même histoire).

¹Le cumul des mandats est possible dans les temps surannés.

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