[se pòrté kòm le pônëf] (loc. médic. SANT.)
Lorsqu’ils posent la première pierre de l’ouvrage en ce 31 mai de l’an de grâce 1578, les frères Androuet du Cerceau ne se doutent pas vraiment que leur Pont-Neuf – qui ne l’est pas encore vraiment – va prendre une grande place dans la langue et qu’il constituera l’une des réponses possibles au fameux comment vas tuyau de poêle de trois cents ans plus tard.
En effet, se porter comme le Pont-Neuf est une des alternatives à « Et toile à matelas ? » attendue en réponse à ce grand classique du questionnement comique.
« — Comment vas tuyau de poêle ?
— Je m’porte comme le Pont-Neuf ».
Marque d’une érudition ne cédant pas à la facilité des saynètes de l’Almanach Vermot mais trouvant plutôt son inspiration dans les pensées des papillotes, se porter comme le Pont-Neuf loue la structure en pierre du plus ancien des ponts de Paris et souligne donc la robuste santé de celui qui use de l’expression.
On se porte comme le Pont-Neuf quand nulle passion fiévreuse ne vient exiger une bonne saignée ou qu’aucun aller simple à Naples sans passer par les monts n’a été diagnostiqué (c’est d’ailleurs une gageure quand on sait qu’une demoiselle du Pont-Neuf est une professionnelle de la bagatelle, susceptible en ce XVIIᵉ siècle de pouacrerie de transmettre tout ce qu’il faut pour voir Naples et mourir).
Il est conséquemment peu probable qu’un ermite du Pont-Neuf se porte comme le Pont-Neuf, l’appellation étant réservée aux coureurs de prétentaine souvent clients des demoiselles susnommées quand ils ne trouvent d’autres marquises à qui présenter leurs hommages.
Les deux cent trente-huit mètres du Pont-Neuf portant toujours beau quatre siècles après la pose de ses douze arches dans les eaux de la Seine, se porter comme le Pont-Neuf semblait faite pour durer en modernité (alors que demoiselle et ermite s’en étaient allés quant à eux en surannéité depuis des lustres).
Après avoir résisté à la Révolution, aux crues, aux barbouillages sur toile de milliers de peintres du dimanche, à un emballage complet¹, aux passages répétés de Cx et de Fuego se dirigeant vers la Samaritaine, c’est son utilisation comme symbole du passage du franc à l’euro qui va précipiter le Pont-Neuf (et se porter comme lui) en surannéité.
Illuminé à la couleur bleue de l’Europe² ce 2 janvier 2002 où les Français commencent à s’emmêler les pinceaux avec des pièces de 1 qui valent 6,55953, soit un peu plus de 5 mais pour des trucs qui valaient moins de 5 la veille encore (mais ceci est une autre histoire), le Pont-Neuf ne va pas résister lui non plus pas à la conversion.
Se porter comme le Pont-Neuf devient aussi désuet que la baguette à 1 franc ou le café à 1,50³ en deux coups de cuillère à pot.
À part quelques vieux Cons surannés qui comptent encore en francs, plus personne n’utilise l’expression.