[se rôZé le ky a la vinèɡrèt] (loc. verb. CUIS.)
L‘ennui pousse parfois à la création. Et parfois la création pousse elle-même un peu (beaucoup) Mémé dans les orties. La production langagière surannée qui suit est un exemple du genre.
Ô combien il devait être profond, le marasme qui poussa donc un jour un cerveau libre de batifoler aux confins de l’imagination pour créer se ronger le cul à la vinaigrette afin de décrire son état de maussaderie !
Quels tourments accablants pouvaient bien tarauder le premier qui prononça cette phrase pour se plaindre d’une attente pénible ? Quel désœuvrement absolu pouvait mortifier à ce point un cuisinier voire un maître saucier, pour invoquer la vinaigrette comme acide grignotant son fondement ? Car le construction est complexe.
Forcément le fruit d’une expérience douloureuse
Se ronger le cul à la vinaigrette ne peut avoir surgi sans travail, c’est certain. Se ronger le cul à la vinaigrette est forcément le fruit d’une expérience douloureuse à base d’huile, de vinaigre, de sel, de moutarde, de poivre et même de condiments.
Sauf à se prendre pour une salade qui aurait patienté trop longtemps dans sa sauce (et nous ne discuterons pas ici des fantasmes des unes et des autres), rien ne peut contraindre un être humain à s’enduire le séant de vinaigrette. Plus encore, une étude attentive des tortures en tous genres depuis Torquemada jusqu’aux modernes fous de Dieu, nous permet d’affirmer que la sauce vinaigrette n’entre dans aucun processus d’aveu d’apostasie, de confession sur la platitude de la Terre ou d’autocritique politique. Se ronger le cul à la vinaigrette nous vient d’ailleurs.
Aucune trace non plus de l’expression dans l’œuvre du marquis de Sade qui était plus porté sur la cire brûlante que sur la vinaigrette, preuve formelle que c’est à la cuisine et à elle seule que nous devons son existence.
Alors François Vatel ? Non; plutôt sucré que salé le cuisinier du Grand Condé.
La Varenne ? Son ouvrage Le cuisinier françois où est enseigné la manière d’apprêter toutes formes de viandes, de faire toutes sortes de pâtisseries & de confitures est une piste, car c’est lui qui introduit persil, thym, laurier, cerfeuil, sauge et estragon dans la cuisine française, qui imagine le bouquet garni et qui explique la sauce hollandaise et, bien entendu, la sauce La Varenne.
Ce qui signifierait que se ronger le cul à la vinaigrette date du XVIIᵉ siècle.
La folie moderne pour le déjà-tout-prêt et loin-d’être-frais expliquerait aussi son extinction. Une époque impatiente qui préfère la sauce vinaigrette en sachet ou en bouteille plastique n’a que faire de se ronger le cul avec.
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