[sø sykʁe la gofʁ] (ÉLÉG. MAQUILL.)
C‘est sous le règne du numéroté quatorze des rois de France, Louis alias Soleil, que le maquillage acquiert ses lettres de noblesse. Il faut dire qu’à la cour on s’emperruque, on se poudre, on se rougit les joues et on se colle une mouche pour mieux charmer qui de droit. Qu’on soit homme, femme, curé, on se tartine le minois.
Le petit peuple de France qui n’accède pas à de telles pratiques de mise en élégance (il bosse, lui) se contente d’observer. Et il a tôt fait, malin qu’il est, de se gausser du geste précieux du poudré. Il appelle ça se sucrer la gaufre, tant la souplesse du poignet et l’auguste geste pomponnant rappellent celui du saupoudrage de sucre sur la gaufre qu’il s’envoie alors quasi quotidiennement¹.
Souplesse du poignet et auguste geste pomponnant
N’aimant rien plus que moquer les puissants, ce goguenard va faire un succès linguistique de se sucrer la gaufre, bien aidé par la propension versaillaise à se maquiller comme une voiture volée pour plaire à Louis-Dieudonné ou à Mazarin (voire à la marquise de Montespan ou à madame de Maintenon) et glaner quelques faveurs.
Déambuler en galerie des Glaces exige en effet de se sucrer la gaufre régulièrement et il est préférable de se repoudrer le nez quand on revient du cabinet d’aisance public ou qu’on est plus simplement allé voir Bernard derrière une porte ou une tenture². Le teint diaphane est à la mode et quoi de mieux qu’un petit apprêt cosmétique pour cacher un malheureux bronzage qui ferait passer pour un gueux des campagnes. Ainsi, quasiment jusqu’à l’invention des congés payés permettant d’aller se faire oisivement dorer la pilule sur la plage tout en étant rémunéré, la peau blanche demeurera-t-elle la marque du bon goût.
Se sucrer la gaufre perdra de son influence avec le bronzing puis disparaîtra totalement lorsque les forces de la mercatique décideront d’arrêter de déconner avec un marché de 45 milliards d’euros. Quand on pèse autant de grisbi on se oint de sérum anti-âge, on régénère sa peau en un geste beauté, on se repulpe le derme à la crème miracle, tout ça parce qu’on le vaut bien, mais on ne se sucre pas la gaufre, bordel !
¹Au XIVe siècle déjà, le Ménagier de Paris propose pas moins de quatre recettes de gaufre.
²Eh oui c’est ainsi à l’époque.